Alexandre Gauthier : "Faisons en sorte que nos maisons soient plus accueillantes et plus justes"

Revenu dans la maison familiale en 2003, le chef se l'est appropriée en y développant sa conception de la cuisine. Un style culinaire récompensé d'une deuxième étoile Michelin en 2017, à découvrir dans le tome 2 du livre Alexandre Gauthier, cuisinier… aux éditions La Martinière.

Publié le 03 février 2020 à 17:15

L'Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?

Alexandre Gauthier : On pourrait dire que je suis né cuisinier. Je suis fils de cuisinier et déjà à la maternelle, lorsqu’il fallait se déguiser, j’étais en cuisinier. Je devais avoir 13 ans quand j’ai décidé que j’irai en école hôtelière au Touquet. Vers 15 ans, quand à travers les stages, ça devient concret, j’ai eu quelques doutes. Tu comprends que tu auras une vie différente en travaillant les week-ends, que tu ne verras plus autant tes copains, etc. A 16 ans, j’ai compris que ce métier, tu ne peux pas le faire moitié. Si c’est ce qui te plaît, tu acceptes et tu le fais à fond.

 

Qu’avez retenu de la période qui précède votre retour dans la maison familiale ?

Tout ce que j’ai fait avant de revenir à la Grenouillère a été important. Même si ça paraît un peu dur, avec tout le respect que je porte aux professionnels avec qui j’ai travaillé, j’ai appris ce qu’il faut faire mais aussi ce que je ne voulais pas reproduire. On apprend des choses formidables et d’autres moins. On se dit : si je deviens chef, ça je ne le ferai pas. Ceci dit, en 1995, on n’est pas dans le même monde. On ne tient pas un restaurant comme on le fait aujourd’hui ou alors tu es à côté de la plaque. Tu es une maison d’hier.

Les moments où tu as serré les dents, les incohérences culinaires, techniques, d’achat et bien sûr humaines, il ne faut pas les oublier. Il faut s’en souvenir et se dire : je le refuse. Dire qu’on reproduit quelque chose parce qu’on l’a appris comme ça alors qu’on sait que ça ne va pas, je ne le comprends pas. On peut agir et changer.

 

Comment s’est passé le retour ?

Je suis revenu donner un coup de main à mon père en 2003, après 3 ans et demi dans d’autres maisons. Cela a été plus dur et plus long que ce que je pensais. Au final, je ne suis pas reparti. J’ai compris alors que cette maison qui m’avait vu grandir pouvait m’accueillir. Mais il fallait que je me l’approprie. Faire que la maison de mon père devienne la mienne et que j’y propose ma cuisine. J’ai beaucoup travaillé pour être à la hauteur de la confiance de mon père et c’est parce que je travaille beaucoup, et que j’ai la tête sur les épaule qu’il m’a fait confiance. La seule chose que je savais en revenant, c’était quel cuisinier je ne voulais pas être.

 

Quelle est votre conception de la cuisine ?

Tout peut être beaucoup plus souple. Ce n’est pas vrai qu’il y a des produits nobles et les autres. Il faut baisser les barrières ! S'interroger sur ce que l’on t’a inculqué "parce que c’est comme ça". Se demander : si je n’étais pas français et que je n’avais pas appris tout ce répertoire, qu’est-ce que je pourrais faire ? Que ce soit bon et beau, c’est le minimum !  Très bon c’est mieux ! Très très bon, c’est formidable et c’est là que tu dois arriver. Au-delà, c’est quand tu touches à l’émotion. Ça te dépasse. Tu atteints le convive comme tu ne pouvais l’imaginer. Ce n’est pas mécanique. C’est dans un travail, une finesse et une prise de risque quotidiens. Une prise de risque, ce n’est pas faire n’importe quoi. C’est amener sa sensibilité personnelle à un endroit ultime où le plat est où il faut, dans sa fragilité. C’est-à-dire pas un peu avant parce que tu n’as pas joué la carte à fond et pas un peu après, c’est trop loin. Il faut trouver le point d’équilibre gustatif, émotionnel, sensoriel qui marque la mémoire gustative de ton convive. Intimement, tous les cuisiniers rêvent de ça.

 

Qu’est-ce qui a motivé la création de trois restaurants ?

C’est parti de l’envie d’éviter la frustration. Quand je suis revenu à la Grenouillère, mon père a eu l’humilité et la gentillesse de me laisser écarter sa cuisine qui était déjà à l’époque très forte, très légitime et très goûteuse. Ses clients n’étaient pas forcément les miens. Ils étaient nostalgiques de sa cuisine. J’ai repris un restaurant à Montreuil, j’ai tout cassé et remis à l’honneur la cuisine de mon père. Je l’ai appelé Anecdote.

En fait, chaque lieu a le même adn, le mien, et une identité culinaire propre. C’est la même équipe. La Grenouillère nourrit Anecdote et Froggies et vice-versa. Il n’y a pas de petite ou grande maison. Nos clients vont dans les différents restaurants. Nos équipes tournent et doivent savoir les reconnaître.  C’est important d’être sur cet ensemble de créneaux. Je m’adresse à une clientèle locale, permanente, même si 80% de la clientèle de la Grenouillère dépasse la région.

 

Quel manager êtes-vous ?

Je suis avant le leader d’une équipe, la locomotive qui tire tout le monde vers l’avant. Je veux faire progresser la maison et cela passe évidemment par la progression des collaborateurs. D’abord, je ne peux travailler avec quelqu’un que je n’aime pas et en qui je n’ai pas confiance. Au final, on passe plus de temps ensemble qu’avec nos familles. Alors à un moment donné, dans une justesse de rapport, il doit un avoir du cœur dans le rapport à l’autre sans pour autant tout mélanger. Comme en architecture, je crois que ma cuisine est HQH : Haute Qualité Humaine.

 

Votre façon de manager a-t-elle évolué au fil des années ?

Non, j’ai toujours été comme ça. Maintenant, ce qui a changé, avec l’époque, c’est que je ne suis jamais seul en entretien. Nous sommes toujours au moins 3. C’est le prix de la non ambiguïté. Maintenant, il faut envisager les plans de carrière et faire comprendre qu’il faut du temps pour grandir au sein d’une maison. Il faut cette confiance qui se forge en travaillant au moins 18 mois avec moi. Nous avons des événements annuels voire bisannuels. Avec le temps, tu te rends compte de toute l’envergure de la maison. En entretien, je leur dis que la Grenouillère n’est pas un travail, c’est un projet et je vous propose d’en prendre votre part. Je compte sur vous ou je ne peux pas compter sur vous ? Les difficultés que l’on rencontre dans les ressources humaines ne doivent jamais éclipser les bonheurs et les satisfactions que les collaborateurs appliqués et impliqués nous procurent. Faisons que nos maisons soient plus accueillantes, plus justes, moins sexistes, plus équitables… Chez Relais & Châteaux, nous travaillons sur ces sujets comme la parité des salaires hommes-femmes ou par exemple, de quoi se compose le repas des collaborateurs, est-ce que c’est frais ? C’est ressenti comme une marque de considération. Le salarié qui fait bon pour le client et qui n’a pas un bon repas, c’est mal vécu. On doit balayer devant nos portes et faire davantage.

 

Quelle est votre expérience avec la nouvelle génération ?

Je ne veux pas être pessimiste. Oui la nouvelle génération ne pense pas comme nous. On a peut-être une difficulté dans le degré d’exigence. Dès que tu es bien noté dans les guides, tu n’as pas envie de perdre ces recommandations. Il faut rester à ce niveau. J’avoue que ça fait un peu peur à une partie de la jeunesse qui ne trouve pas cette exigence acceptable. Parfois, il s’agit d’un manque de confiance en eux. Il faut alors les encourager. Leur dire : vous en êtes capable !

Il faut être honnête. Aujourd’hui, dans le recrutement, quand tu rencontres quelqu’un qui a envie et qui présente bien, c’est suffisant. Ensuite, tu les formes en interne et tu les emmènes à leur maximum. Il y a des gens qui ont un potentiel de fou et qui ne le savent pas. Chacun peut trouver sa place.

 

Les projets ?

Nous faisons des travaux pour lancer une boulangerie à la Grenouillère qui fournira les 3 restaurants et sur abonnement pour les clients. Je prépare à Montreuil-sur-Mer un café avec une petite restauration pour la fin du printemps. Je n’ai pas encore le nom. Nous avons eu l’autorisation des bâtiments de France pour faire le spa avec des bains et des salles de massage, qui sera entre le onsen japonais et le lavoir médiéval. Il a fallu du temps pour trouver des solutions pour réaliser un projet éthique et cohérent d’un point de vue développement durable. Pour moi, cet engagement fait partie de La Grenouillère depuis le départ. Je n’ai pas communiqué dessus car pour moi, cela veut dire simplement que c’est une maison d’aujourd’hui.  

#LaGrenouillère# Alexandre Gauthier étoiles Michelin Gault Millau

 


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Publié par Nadine LEMOINE



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