“Les menus sans prix attribués aux dames ? Pour moi, c’est totalement has been, explique Louis Chabran, qui dirige avec son père la Maison Chabran à Pont-de-l’Isère (Drôme). Ma femme ne l’accepterait pas. Si la situation se présentait dans un restaurant, je ne serais pas d’accord mais je ne ferais pas de scandale, étant du métier. Je peux comprendre la maladresse.” Le jeune chef étoilé de 28 ans propose pourtant ces mêmes cartes dites 'muettes' dans son établissement, mais uniquement sur demande : “Je ne juge pas. C’est une exigence d’un public plutôt âgé que l’on se doit de satisfaire.”
À l’autre bout de la France, en Bretagne, l’expérience est différente. “Nous proposons systématiquement une carte sans prix aux femmes”, s’étonne Christophe Le Fur, chef étoilé de l’Auberge Grand’Maison à Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor), qui avoue avoir peu de retour sur cet usage et renvoie la patate chaude à Nicolas Le Liboux, son sommelier, qui fait face au quotidien aux réactions des clients. “C’est de la galanterie”, explique simplement ce dernier.
Des usages qui heurtent
“Ces cartes sans prix sont un sujet de friction rarement pris au sérieux et qui concerne un certain type d’établissement. Une hôtelière me disait que ce serait une faute si elle n’en proposait pas, et qu’elle avait vu des clientes s’énerver de leur absence. Entre la coutume et ce que l’on envisage être l’élégance, les choses sont entremêlées. En France, c’est compliqué. Ce type de pratique est inenvisageable outre-Atlantique. Il ne faut pourtant pas être culpabilisant pour les restaurateurs qui veulent bien faire. Ils ne peuvent pas être plus progressistes que leurs clients”, déroule Estérelle Payany, critique gastronomique à Télérama depuis sept ans et engagée sur la question de l’égalité des sexes, en particulier “dans les lieux de pouvoirs” que peuvent être les restaurants : “L’histoire de ces menus, c’est celle d’une domination. En quoi les femmes ne seraient-elles pas en capacité de payer ? C’est encore pire avec la carte des vins systématiquement attribuée aux hommes, arbitrairement considérés comme les uniques sachants !”
Une posture que partage Bernard Boutboul et qu'il conforte avec une anecdote. “Un chef étoilé m’a rapporté avoir arrêté les cartes sans prix après un vif incident. Une dirigeante d’entreprise s’était vu délivrer ce type de menu alors qu’elle invitait ses trois plus gros fournisseurs. Elle avait vécu cette situation comme une humiliation”, raconte le patron du cabinet Gira dont les enquêtes de consommation concluent à 98 % à l’indécence de cette pratique. “Les restaurateur veulent bien faire, tempère Estérelle Payany. Personne n’est sexiste de façon volontaire. Ma préconisation serait que les cartes sans prix soient un service additionnel à envisager au moment de la réservation. Ce qui me gêne c’est qu’elles puisse être imposées. Au même titre, une addition se dépose toujours au centre de la table.”
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Publié par Francois PONT
vendredi 24 juillet 2020