Ambazac (Haute-Vienne), matin de canicule. Dans la grande salle de restaurant qui, il y a quelques semaines encore, pouvait accueillir une soixantaine de couverts, ne restent que des éléments de mobilier et des tables sur lesquelles sont exposés à la vente les derniers lots de verres, de vaisselle, d’ustensiles professionnels et d’objets de décoration.
Depuis le 28 juin dernier, l’Hôtel des voyageurs a baissé le rideau. Joseph et Ludovic Travia, la mort dans l’âme, se voient obligés de dépecer leur outil de travail et de vendre cette maison familiale, faute de repreneur.
Dans cette petite ville de 5 000 habitants située à 30 km au nord de Limoges, l’Hôtel des voyageurs fut une institution de la vie locale. En avril 1968, Augusta et Giuseppe Travia, couple d’Italiens arrivé en France quelques années plus tôt, avaient ouvert cet établissement. Leurs deux enfants, Joseph et Ludovic, avaient repris l’affaire familiale en 1994. Depuis, grâce notamment à la belle cuisine de Joseph et à l’hôtel et ses chambres joliment rénovée, l’établissement jouissait d’une belle notoriété.
Peu de contacts
En 2022, épuisés par des années de labeur, confrontés au manque récurrent de personnel et lassés des exigences en matière de normes, impuissants face à l’augmentation des charges et à réduction des marges, Joseph Travia envisage de faire jouer ses droits à la retraite. L’établissement est alors mis en vente. Des agences sont mandatées pour valoriser et vendre le bien. La chambre de commerce de Limoges propose également un accompagnement pour trouver un repreneur.
S’ensuivent de longs mois d’attente, des coups de fils sans lendemain et de rares espoirs avortés. Sur le papier, l’établissement possède pourtant des atouts : une belle bâtisse, un parc arboré, un parking, une grande terrasse (80 couverts) entourée de verdure, cinq chambres rénovées et aux normes, sans compter la notoriété de la table et un chiffre d’affaires en croissance continue ces dernières années : rien ici ne semble inspirer quelconque crainte ou de quoi effrayer les acheteurs potentiels. Et pourtant …
La situation s’enlise. Joseph et Ludovic Travia décident alors de confier leur bien à un agent exclusif, estimant qu’un interlocuteur unique les accompagnera plus efficacement et boostera les chances de séduire de nouveaux clients. De même, ils acceptent une baisse du prix de vente significative (jusqu’à un tiers du prix originel).
Ils n’hésitent pas non plus à s’inscrire sur SOS Villages, la plateforme d’aide à la relance des commerces en zone rurale, avec un passage au journal de 13 heures de TF1 pour élargir la visibilité de leur annonce. Autant d’efforts et de renoncements qui resteront vains.
En Juillet 2024, malgré une situation au point mort, Joseph et Ludovic Travia décident de repartir pour une ultime saison. Le samedi 28 juin 2025, clap de fin. Ce service sera le dernier. Le coup est dur pour les deux frères qui n’ont d’autre choix que de tout vendre pour faire face aux échéances, notamment pour régler les indemnités de départ liés au licenciement du personnel.
Au-delà du caractère dramatique de cette situation, cet exemple est d’autant plus alarmant qu’il s’inscrit dans une tendance de fond que Thierry Marx, président confédéral de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, a pointée cet été dans les médias. “En France, ce seraient 25 restaurants qui ferment chaque jour”, avance le chef étoilé qui souhaite l’instauration d’une loi-cadre pour protéger la gastronomie française.
Désert gastronomique en vue ?
L’Hôtel des voyageurs n’est malheureusement pas un cas isolé et cet exemple illustre une tendance de fond qui s’est amplifiée depuis la crise du Covid. En milieu rural, les établissements de restauration jouent un rôle essentiel dans la vie économique d’un bourg, dans son rayonnement touristique comme dans la permanence du lien social. Acteurs incontournables du tissu économique, les restaurateurs servent la vitalité d’un terroir, de sa culture et de ses traditions. Nombreux aujourd’hui sont ceux qui valorisent les circuits-courts, les productions locales et le travail des agriculteurs, des éleveurs et des viticulteurs, eux aussi en proie aux mêmes difficultés.
De même, la taille souvent modeste des établissements ruraux les rend encore plus vulnérables face à l’explosion des coûts de l’énergie, à la raréfaction de la main-d’œuvre, à l’irrégularité de l’activité et à l’évolution des habitudes alimentaires des Français.
Non seulement la fermeture de ces établissements de campagne dévitalise un peu plus des territoires déjà touchés par la raréfaction des services publics et des commerces, mais elle fragilise un art de vivre et un patrimoine culturel national.

Publié par Fabrice VARIERAS

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