Jacques Marcon : circuit très courts, bon sens paysan et combat contre la loi Duplomb
Pour le chef Jacques Marcon, la question du bio est intimement liée à celle du coût mais pas toujours dans le sens qu’on croit. « Ce qui coûte cher, ce ne sont pas forcément les produits bio, mais les intermédiaires. Dans les cantines scolaires comme dans la restauration classique, la solution passe surtout par les circuits très courts. » En exemple, les magasins de producteurs, comme La Main Paysanne, « où les coûts du bio sont considérablement baissés ».
À ses yeux, ce sont les produits transformés qui pèsent le plus lourd dans les budgets. « Il vaut mieux laver une salade bio que la sortir d’un sachet en plastique déjà lavée. Ce qui coûte cher, ce sont aussi les produits tout prêts. Si on cuisine plus, ça diminue les coûts. » Le chef triplement étoilé et étoile verte au Guide Michelin donne la priorité au bio sur les légumes. Pour la viande, en Haute-Loire, il fait confiance aux élevages à taille humaine qui n'ont pas forcément le label mais toutes les méthodes bio.
« En ce moment, les restaurateurs sont en difficulté, mais ne vont parfois pas assez loin dans le sourcing ni dans le lien avec les agriculteurs. Ce temps qu’on va passer à aller voir les producteurs, on va le gagner derrière. C’est aussi une des solutions pour redonner le goût aux gens d’aller au restaurant. »
S’il est convaincu que le bio progressera, il insiste sur la nécessité d’accompagner la transition. « Il faut faire changer les mentalités. On a beaucoup tiré vers le bas l’agriculture avec le productivisme. On doit accepter de rétablir l’équilibre. Parfois, quelques centimes par litre ou au kilo suffisent et donnent un sens. Si le monde de l’agroalimentaire joue le jeu, les agriculteurs pourront mieux travailler la terre. »
Fidèle à cette conviction, Jacques Marcon s’est récemment mobilisé contre la loi Duplomb, qui menace selon lui l’agriculture durable en autorisant le retour de certains pesticides. Il soutient et porte le mouvement « Nourrir, pas empoisonner », aux côtés de nombreux chefs engagés.
Le août, le Conseil constitutionnel a censuré le très controversé article 2, qui prévoyait la réintroduction de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, au nom de la Charte de l’environnement qui a valeur constitutionnel.
Joannes Richard : nutrition, bon sens et fillière locale
Champion du monde de burger, champion de France de barbecue, mais aussi ancien nutritionniste, Joannes Richard aborde la question du bio par le prisme de la santé. « On vit plus longtemps, mais plus malade. Le bio, ce n’est pas une mode, c’est une nécessité de santé publique », affirme-t-il. Au sein de son établissement Croquer la Pie à Saint-Hilaire-d’Ozilhan, le co-fondateur de l’enseigne Les Burgers de Jo (aux côtés de Sébastien Chabal) privilégie les produits bruts, les boissons (softs, bières, vins), le miel et surtout les céréales biologiques : « Ce sont des produits très traités, très peu rincés. S’ils ne sont pas bio, on ingurgite tous les résidus. » Sa priorité reste le local, avec une approche fondée sur la confiance. « Je travaille avec un boucher du village qui sélectionne les éleveurs en circuit court, même sans label. Ce qui compte, c’est la qualité du gras et la méthode d’élevage. » Pour lui, le bio est aussi un levier pédagogique. Il prépare avec la communauté de communes une série de vidéos anti-gaspi, veut installer un éco-digesteur et espère obtenir le label “Bistrot de Pays”. « J’aimerais qu’on parle davantage du compost, des biodéchets, de la santé. Et qu’on arrête de penser que le bio est réservé à une élite et à la gastronomie étoilée. »
Dina Nikolaou : le bio à la grecque
À Paris, Dina Nikolaou, cheffe du restaurant Evi Evane, mêle sourcing français bio et produits grecs artisanaux, souvent sans label mais toujours choisis avec exigence. « Environ un tiers de mes produits grecs sont certifiés bio, mais tous sont traçables. Je connais chaque producteur. »
En Grèce, plusieurs organismes certifient selon les normes européennes (BIO Hellas, TUV Hellas...), mais Dina revendique avant tout un rapport humain et culturel au produit. « Beaucoup de petits producteurs travaillent comme leurs grands-parents, sans engrais, sans pesticides, mais sans certification. Je préfère un thym cueilli à la main dans les montagnes crétoises qu’un origan labellisé importé d’ailleurs. » Si elle aspire à obtenir un jour l’étoile verte Michelin, ce n’est pas une finalité : « L’important, c’est de rester fidèle à une éthique. La clientèle parisienne comprend de plus en plus cette démarche. »
Nicolas Bottero : la transparence avant le label
Dans les Bouches-du-Rhône, le chef etoilé et propriétaire du Mas Bottero, Nicolas Bottero travaille à Saint-Cannat avec environ 30 % de produits bio dans ses assiettes et environ 50 % dans sa cave. « On est dans une région où le bio est très développé, donc le sourcing est plus simple. Mais je refuse de faire du bio pour cocher une case. »
Ce qui l’importe, c’est le lien au sol. « Je préfère un légume ramassé à deux kilomètres qu’un produit bio qui a traversé l’Europe. » Il note cependant les limites du bio, notamment en termes de conservation. « Les produits se gardent moins. Il faut acheter plus souvent, adapter la logistique. » A noter, le chef ne communique pas sur le bio sauf pour les vins, où « la demande est très forte, surtout en biodynamie. »
Julien Médard : le circuit court avant tout
Étoilé Michelin et détenteur de trois macarons Écotable pour sa Maison Medard, Julien Médard revendique une cuisine 90 % locale, mais à peine 10 % bio. « Parce que c’est local ce n’est pas forcément bio, mais parce que c’est bio ce n’est pas forcément bon », résume-t-il.
À Boulleret, dans le Berry, il travaille uniquement avec des producteurs qu’il connaît. « Je ne prends pas un légume sans avoir vu la ferme. J’ai des buffles élevés à 30 km, nourris sainement, sans label. Je préfère ça à une viande bio industrielle. » Sur sa carte, il ne précise rien. « Les clients nous font confiance, ils peuvent se procurer les mêmes produits pour leur frigo. Et quand ils posent des questions, on leur raconte l’histoire derrière. »
Un produit autochtone à sa carte en saison, l’escargot bio. Élevé en plein air à 45 km de là, chez Didier Martinat (Escarbio), le petit gris est livré blanchi, puis cuit maison pendant dix heures dans un court-bouillon. « On les travaille en cromesquis ou montés au beurre. C’est l'exemple même d'un produit local, bio, durable, et gastronomique. »
Charles Coulombeau : bio, éthique et écologie sociale
Chef étoilé à Nancy (La Maison dans le Parc) et à Metz (Yozora), Charles Coulombeau tente d’intégrer un maximum de bio dans ses cuisines, malgré les difficultés. « En gastronomie, c’est plus facile, mais nous avons aussi des volumes très importants en brasserie, au foodtruck... »
Il travaille notamment avec un moulin biologique pour ses farines, et des maraîchers bio à Metz pour légumes et fleurs comestibles. « Les produits biologiques sont plus concentrés en goût. Rien ne vient troubler la pousse. Même la peau d'un fruit bio est plus goûteuse. » Le chef reconnaît cependant les contraintes liées à ce mode de culture : prix plus élevés, besoin de régularité, fidélité aux producteurs. « C’est un accord moral. Si on est leur seul client, on doit suivre. »
Par ailleurs, Charles Coulombeau refuse toute récupération marketing. « Personne ne sait vraiment comment fonctionne l’étoile verte. On fait du compost, pas de gaspillage de pain, on cuisine en anti gaspi pour les Restos du cœur… mais on préfère agir que le mentionner partout à nos clients. L’écologie sociale est pour moi plus importante que les labels. »
Mathieu Pérou : le bio devenu naturel
Au Manoir de la Régate à Nantes, Mathieu Pérou chef étoilé et récompensé par une étoile verte cuisine exclusivement bio… sans l’afficher. « Je ne communique pas en insistant là-dessus car cela me semble évident, mais je ne travaille aujourd’hui qu’avec des producteurs bio ou équivalents et avec notre propre potager biologique. »
Pour lui, le problème reste l’éducation des consommateurs. « On est habitués aux prix cassés. Mais un produit bien fait coûte plus cher. » Il milite pour une cuisine engagée, maligne : « Un pied de cochon bio bien assaisonné peut devenir une super assiette. Il faut oser mais cela coûte moins cher et reste un bon produit biologique. »
Gaêtan Fiard : en pâtisserie, le bio exigeant
Chef pâtissier à Bordeaux au Pressoir d’Argent – Gordon Ramsay (deux étoiles Michelin), et Champion du Monde des Arts Sucrés, Gaëtan Fiard utilise des produits bio au possible : œufs, fruits secs, fruits rouges... « Le goût est là. Mais la fragilité aussi. Il faut travailler ces produits dans les deux jours. » La maison achète à moins de 100 km, selon la météo et les cueillettes. « Sans potager attitré, on dépend des producteurs. On s’adapte. » Il ne revendique pas le bio, par souci de cohérence : « Dans un restaurant de ce niveau, c’est la base. Ce n’est pas un argument de vente. »
Le mot de l'expert, Bernard Boutboul
Président de GIRA Conseil et expert reconnu des tendances de consommation dans la restauration, Bernard Boutboul observe avec recul l’évolution du bio dans le secteur. Et son constat est sans appel : « Le bio n’est pas une demande dans la restauration. Les restaurants 100 % bio ont vite fermé. Ce n’est pas un vrai sujet dans la restauration commerciale, seulement dans la restauration collective. »
Pour lui, le bio connaît une stagnation après une montée lente, désormais suivie d’un recul net : « Ce n’est pas un effet de mode, c’est une tendance durable, mais qui a du mal à s’installer. En 2024, on a vu la première vraie chute. Les prix ont grimpé, la défiance des consommateurs a augmenté, les restaurateurs ont réagi en chaîne. On a abusé sur les prix du bio, souvent sans justification. Les reportages polémiques ont joué un rôle important dans cette perte de confiance. »
Les restaurants les plus engagés ? « Ce sont les établissements traditionnels avec service à table, plutôt dans le haut de gamme. Parce qu’en réalité, le bio reste un luxe. Une viande bio, des légumes bio, ça reste difficilement accessible pour tous. »
Il identifie plusieurs freins majeurs : « Le coût bien sûr, mais aussi le manque de choix, de variété, et surtout de volume. On n’a pas tout en bio. En face, les consommateurs sont de plus en plus méfiants. Ils veulent des preuves, ils s’inquiètent du bilan carbone, du bien-être animal… Et ils comprennent que le bio n’est pas forcément un gage de qualité, mais une méthode de production agricole. »
Le label bio, autrefois valorisé, semble aujourd’hui déclassé dans les esprits : « Il ne pèse plus grand-chose dans le choix d’un restaurant. Il y a quinze ans, on croyait que ça allait changer la donne, notamment quand Jean-Louis Borloo, voulait imposer 20 % de bio dans les cantines. Aujourd’hui, on en est très loin. Le principal obstacle reste les volumes. »
À ses yeux, les consommateurs se tournent désormais vers d’autres repères : « Ce qu’ils plébiscitent, ce sont les circuits courts, le locavorisme. Ils veulent acheter à moins de 250 km autour du restaurant, faire travailler leur économie locale. Ils aiment reconnaître les producteurs, lire leur nom sur la carte. C’est ça qui les rassure. »
La clé, selon lui, réside dans une communication sincère : « Le client veut la vérité. Il faut tout dire. Quand un produit est bio, quand il ne l’est pas. Quand c’est fait maison, ou surgelé. Afficher le nom du fournisseur. C’est la transparence qui fidélise. »
Quant aux chaînes de restauration, elles restent prudentes : « Elles sont timides. Leur problème, c’est le volume. Certaines ont communiqué sur le bio pour rassurer les parents, surtout en fast-food. Mais l’engagement reste faible. »
« Si demain, le bio est moins cher, plus rigoureux, plus rassurant, ce sera une vraie alternative, meilleure pour la planète et la santé. On a connu une inflation des matières premières à 16 % en 2024, répercutée à 23 % sur les prix et dans ce contexte, on a exagéré sur les prix du bio. J’espère qu’il saura redresser la barre, retrouver du sens, et devenir plus accessible. »
Publié par Julie GARNIER

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