L’Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?
Jérôme Banctel : Je rêvais d’être footballeur mais mes parents n’ont pas voulu. Mon premier lien avec les produits, je le dois à mes grands-parents. Je viens de Bretagne, à l’intérieur des terres. Ils étaient agriculteurs et éleveurs de chevaux et lorsque le ‘tueur en campagne’ comme on l’appelait venait s’occuper du cochon, je suivais son travail toute la journée et on faisait le boudin, la saucisse, les rillons… dans une atmosphère familiale. J’adorais ça. En fait, c’est un copain qui partait en pension à l’école hôtelière à Saint-Méen-le-Grand qui m’a donné envie d’essayer. J’ai eu la chance de faire un stage à la Bonne Auberge, à Antibes, chez Jo Rostang, 2 étoiles Michelin. C’est dans cette maison que j’ai eu le déclic. Dès mon retour à l’école, je voulais faire des concours. J’ai passé un CAP, un BEP et un bac pro puis je suis allé chez Michel Kéréver, au Duc d’Enghien. Il m’a appris la rigueur, la précision. J’ai su tout de suite que ce qui m’intéressait, c’était la grande cuisine, les belles maisons, les étoiles. J’aime cette émulation au sein des brigades, ce partage. J’ai toujours eu cette soif d’apprendre, même si je sais aujourd’hui qu’on n’a pas assez d’une vie pour tout savoir. On apprend tous les jours.
Vous êtes resté dix ans chez Bernard Pacaud, 3 étoiles Michelin. Quels souvenirs en gardez-vous ?
J’étais au Crillon à l’époque et je cherchais un poste chez un chef 3 étoiles. Par chance, une place s’est libérée chez Bernard Pacaud à l’Ambroisie. Je suis passé d’une cuisine avec 80 personnes à une maison où on était 12 en cuisine. C’est une autre organisation, une autre ambiance. Au bout de dix mois, je suis allé voir Bernard Pacaud, je lui ai proposé de prendre la place de sous-chef qui n’existait pas parce que j’avais envie de faire bouger les choses. Dans la brigade formée depuis longtemps, je sentais une forme de routine. Il m’a répondu : “Vas-y, prends-la ! Mais je ne ferai pas l’annonce. Prends-la par ton travail.” J’ai mis un an pour arriver à ce que je voulais. Bernard Pacaud est une telle icone en cuisine que tu fais toujours le maximum sans qu’il ait besoin de te le dire. Il sait sortir le meilleur des gens. Il m’a apporté toutes les bases classiques qu’il connaît par cœur. On ne parlait que des beaux produits qui devaient être les meilleurs. Il était d’une exigence absolue et ne demandait pas le prix. On ouvrait du mardi au samedi soir et c’était toujours plein.
Vous avez ensuite travaillé huit ans avec Alain Senderens, un autre chef 3 étoiles. Qu’est-ce que cette longue collaboration vous a apporté ?
En 2005, j’ai envie d’autre chose. J’ai eu un rendez-vous avec Alain Ducasse. Il m’a dit : “Tu sais faire 30 couverts. Mais 200 ?” Cela voulait dire qu’il fallait savoir tout faire et cela m’a fait réfléchir. Au même moment, j’apprends qu’Alain Senderens cherche un chef. Lors du rendez-vous, il m’explique qu’il rend ses 3 étoiles, qu’il veut faire 220 à 250 couverts par jour de très haute qualité et j’ai signé. Quarante cuisiniers, deux brigades, un lieu ouvert 7 jours sur 7, un changement de style et d’homme. Alain Senderens est un homme de lettres, un homme d’accords mets et vins qu’il a étudié pour se démarquer et que moi je ne connaissais pas.
Pendant huit ans, tous les mardis et vendredis, je devais lui présenter des essais. Il voulait du renouveau tout le temps, avec l’accord mets-vins à chaque fois. Il avait un palais exceptionnel. Lorsque l’on trouve le bon accord, on ne peut plus rien bouger dans le plat. C’était compliqué pour moi à l’époque en tant que cuisinier. J’ai donc ouvert le bar chez Senderens, pour en faire mon espace de liberté. Il a tellement bien marché que je faisais 220 couverts au restaurant et 50 couverts au bar à chaque service. Alain Senderens m’a apporté le goût, le sens de l’organisation, la gestion des équipes et des achats, et la quête permanente de créativité.
Comment êtes-vous arrivé à La Réserve Paris ?
J’ai connu Michel Reybier, propriétaire de La Réserve, lorsque j’étais consultant pour les cartes des Mama Shelter dont il était actionnaire. Il m’a annoncé qu’il allait ouvrir un restaurant au bas des Champs-Élysées. De fin 2013 au 15 janvier 2015, jour de l’ouverture, il m’a donné carte blanche pour imaginer ma cuisine, composer mon équipe dont mes deux adjoints de chez Senderens, et créer la carte. Michel Reybier veut que le Gabriel soit l’écrin de La Réserve. Il croit aux étoiles et me donne tous les moyens.
Au Gabriel, vous avez décroché directement 2 étoiles moins d’un an après l’ouverture. Trois ans plus tard, qu’est-ce qui a évolué ? Comment définiriez-vous votre cuisine ?
Quand nous avons eu les 2 étoiles, avec mes assistants, nous avons repris chaque plat pour imaginer ceux qui pourraient aller plus haut. Finalement, on en a gardé qu’un. C’est une cuisine lisible, de produits, de goût, de caractère, qui mêle aussi bien l’acidité que l’amertume et qui est très technique aujourd’hui. On a commencé à cinq aux fourneaux et maintenant nous sommes quinze. Ce n’est pas la même donne. Tout est pesé, calibré. Chaque assiette doit sortir de façon identique. Et comme dirait Pierre Gagnaire, tout part d’un classique. Quand je réfléchis à un nouveau plat, je pense à un classique de la cuisine que je revisite à ma façon.
Votre plat best-seller ?
L’artichaut Macau, cœur en impression de fleur de cerisier et coriandre fraîche. En tant que Breton, cela me tenait à cœur de créer une recette autour de l’artichaut. Il est travaillé à la chaux vive, oxydé à l’air et cuit dans un jus d’artichaut dans un Gastrovac. Il faut 48 heures pour le préparer. C’est une concentration d’artichaut avec un gel de sakura - feuilles de cerisier -qui apporte un peu d’acidité et un goût tonka boisé, des chips et une purée d’artichaut et une barigoule d’artichaut en légèreté. La communion de tous ces éléments donne un artichaut comme on ne l’a jamais goûté. Si le client ne le choisit pas à la carte, on lui servira en amuse-bouche.
Votre plat préféré à votre carte ?
Le Pigeon de Vendée, cacao, sarrasin croustillant. Il est servi sans sauce, ce qui veut dire que la cuisson doit être juste. Il est cuisiné ‘à l’envers’ : de 50 à 125 °C puis à 180 °C, enfin passé au sautoir et arrosé d’un beurre noisette. Le côté cacao ressort. Il est servi sur un lit de risotto de sarrasin à la moutarde pour la touche bretonne.
Le secret de la réussite ?
Le travail et l’exemplarité.
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Publié par Nadine LEMOINE