Évaluer un hôtel : fonds, murs, ou les deux ?

Lors de la vente ou de l’évaluation patrimoniale d’un hôtel, il convient de bien différencier ce qui fait l’objet de l’estimation : le fonds de commerce, les murs, ou les deux. Ces éléments relèvent de démarches d’évaluation distinctes, avec des enjeux juridiques et financiers spécifiques.

Publié le 19 mai 2025 à 16:00

À noter : la valeur d’un hôtel repose sur deux composantes principales :

  • Le fonds de commerce, qui représente l’outil d’exploitation.
  • Les murs, c’est-à-dire l’immeuble où s’exerce l’activité.

L’évaluation d’un hôtel ne se limite pas à un simple chiffre : elle nécessite de bien distinguer le fonds de commerce, les murs, ou l’ensemble des deux, selon les objectifs de la transaction ou du projet patrimonial. Chaque composante fait l’objet de méthodes d’analyse spécifiques, qu’il est essentiel de croiser pour obtenir une valorisation réaliste et crédible.

Que ce soit pour sécuriser un financement, préparer une transmission ou arbitrer une vente, la pertinence de l’évaluation repose sur la rigueur de l’analyse, la connaissance du marché et l’adaptation à chaque situation.

 

Le fonds de commerce d’un hôtel

Qu’est-ce qu’on évalue ?

Le fonds de commerce d’un hôtel désigne l’ensemble des moyens matériels et immatériels qu’un exploitant réunit et organise pour attirer et fidéliser une clientèle. Il constitue un bien meuble incorporel, distinct de l’immeuble où s’exerce l’activité, même si ce dernier appartient au même propriétaire. Sa valeur repose sur la capacité de l’établissement à générer une activité commerciale pérenne.

La définition juridique est issue de la pratique, de la jurisprudence, et des dispositions du Code de commerce, notamment :

Article L. 141-5 du Code de commerce : « Sont présumés compris dans la vente d'un fonds de commerce, s'il n'en est disposé autrement, l'enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l'achalandage, le mobilier commercial, le matériel et l'outillage servant à son exploitation. »

 

Ainsi, le fonds de commerce est composé de deux grandes catégories d’éléments :

 

Les éléments incorporels, qui forment l’essence même de la valeur du fonds :

  • La clientèle, élément central sans lequel il n’y a pas de fonds de commerce. Elle résulte à la fois de l’attractivité de l’emplacement, des efforts commerciaux et de la qualité de l’exploitation.
  •  Le droit au bail, qui garantit au locataire d’occuper les locaux selon des conditions déterminées, assurant la continuité d’exploitation.
  • L’enseigne et le nom commercial, qui permettent d’identifier l’établissement et de le distinguer de ses concurrents.
  • Les autorisations et licences nécessaires à l’exploitation (ex : licences de débits de boissons pour les hôtels-restaurants).
  •  Les contrats de travail, repris de plein droit lors d’une cession.
  • D’autres droits immatériels : site internet, référencement, droits d’usage attachés à l’activité.

 

Les éléments corporels, indispensables à l’exploitation quotidienne :

  • Le mobilier d’accueil et d’exploitation : mobilier de chambres, de restauration, équipements de réception.
  • Le matériel : équipements de cuisine, blanchisserie, systèmes informatiques, installations techniques.

 

Important : les stocks (lingerie de rechange, produits d’accueil, denrées alimentaires) ne font pas partie du fonds de commerce. Ils sont évalués séparément lors d’une cession et réglés selon un inventaire contradictoire réalisé à la date de transmission.

 

 

Recommandation : réaliser un inventaire physique des immobilisations

Avant toute cession, il est fortement recommandé d’effectuer un inventaire physique exhaustif des immobilisations affectées à l’exploitation de l’hôtel. Cet inventaire permettra de dresser une liste précise et actualisée du mobilier, des équipements et du matériel inclus dans la vente.

En effet, la liste comptable des immobilisations (issue du registre des immobilisations) peut parfois ne pas refléter fidèlement la réalité du terrain : éléments obsolètes, manquants, remplacés sans mise à jour, ou au contraire équipements non comptabilisés.

Un inventaire contradictoire, réalisé en présence des parties (vendeur et acquéreur), constitue une garantie de transparence et évite tout risque de litige ultérieur sur la consistance du fonds cédé.

En pratique : cet inventaire vient compléter la promesse ou l’acte de cession et peut être annexé au contrat, facilitant ainsi la levée de conditions suspensives et sécurisant le financement de l’acquéreur.

 

Comment l’évalue-t-on ?

L’évaluation d’un fonds de commerce d’hôtel repose sur l’analyse de sa capacité à générer durablement des résultats et sur la comparaison avec les pratiques de marché. Plusieurs méthodes coexistent, chacune adaptée à la taille de l’établissement et à son profil d’exploitation.

Méthode de multiple du chiffre d’affaires

Cette méthode empirique repose sur l’application d’un coefficient multiplicateur au chiffre d’affaires annuel HT moyen de l’établissement. Ce coefficient, exprimé en pourcentage du chiffre d’affaires, est déterminé en fonction de l’activité hôtelière concernée (hôtel sec, hôtel-restaurant, résidence de tourisme), de sa localisation, de son positionnement commercial et des usages de marché observés dans le secteur.

CA HT X Coefficient multiplicateur

En pratique, on retient généralement la moyenne des trois derniers exercices clos, avec une pondération éventuelle pour corriger des effets exceptionnels (ex : exercices atypiques, conjoncture locale).


L’objectif est d’obtenir un chiffre d’affaires de référence “normalisé”, reflétant la capacité économique réelle de l’établissement.

Attention : cette méthode suppose une analyse rigoureuse des données. Les années non représentatives, comme celles affectées par la crise sanitaire (COVID-19), doivent être écartées ou retraitées. De même, il convient de vérifier que le chiffre d’affaires retenu correspond bien à l’activité de l’hôtel vendu : dans certains cas, des sociétés peuvent regrouper plusieurs activités (ex : restauration extérieure, événementiel), faussant ainsi l’évaluation du fonds d’hôtellerie.

 

Avantages et limites

  • Avantage : cette méthode est simple à mettre en œuvre et s’appuie sur des pratiques de marché usuelles.
  • Limite : elle ne prend pas en compte la rentabilité réelle de l’exploitation. Un hôtel peut réaliser un chiffre d’affaires élevé tout en étant faiblement rentable, voire déficitaire. C’est pourquoi la méthode empirique ne doit jamais être utilisée isolément : elle doit être complétée par une analyse financière plus fine (EBE retraité) et croisée avec d’autres approches.

 

Méthode de multiple de l’EBE retraité 

L’Excédent Brut d’Exploitation (EBE) correspond au résultat d’exploitation courant avant amortissements, provisions, charges financières et impôts. Il mesure la capacité d’un établissement à générer des ressources grâce à son activité propre, indépendamment de sa politique d’investissement ou de financement.

Pour évaluer un fonds de commerce d’hôtel, cette méthode consiste à appliquer un multiple de valorisation à l’EBE retraité. Ce retraitement vise à neutraliser les éléments exceptionnels ou personnels (ex : rémunération dirigeant, charges non récurrentes) afin d’isoler la performance économique réelle de l’exploitation.

Plus on descend dans le compte de résultat, plus les données sont influencées par des choix de gestion particuliers. Les retraitements ne cherchent pas à "gonfler" artificiellement le résultat mais à coller à la réalité de l’exploitation.

La formule utilisée est :


EBE retraité x coefficient

Le choix du multiple dépend des facteurs de valeur propres à l’établissement, à savoir sa taille, son emplacement, la qualité de sa clientèle, l’état de ses installations et ses perspectives de développement, qui conditionnent sa capacité à maintenir et développer ses performances.

 

Avantages et limites

  • Avantage : méthode fiable car directement liée à la rentabilité réelle de l’exploitation, adaptée aux investisseurs et repreneurs.
  • Limite : nécessite une analyse financière rigoureuse et des retraitements précis pour aboutir à une évaluation pertinente.

 

La difficulté des méthodes empiriques réside dans le choix du coefficient multiplicateur adapté, qui dépend des facteurs de valeur propres à l’hôtel (emplacement, positionnement, qualité d’exploitation). Une bonne connaissance du marché local et des transactions comparables est indispensable. Sans cela, le risque de surévaluation ou de sous-évaluation est élevé. Ces méthodes doivent donc être utilisée avec discernement.

 

 

La méthode des comparables (ou par marché)

La méthode des comparables repose sur l’analyse de transactions récentes d’hôtels aux caractéristiques similaires, en termes d’emplacement, de gamme, de capacité et de performances économiques. Elle s’appuie sur des références de ventes fiables et actualisées, issues de bases spécialisées ou d’observatoires de marché, permettant d’aligner l’évaluation sur la réalité des transactions.

En pratique, on raisonne souvent en valeur par chambre, ce qui facilite les comparaisons pour des hôtels standardisés. Toutefois, cette approche suppose de comparer ce qui est véritablement comparable : il serait incohérent d’appliquer la même valorisation à un hôtel-château de 20 chambres et à un hôtel de chaîne standardisé de 100 chambres, même situés dans la même ville.

 

Avantages et limites

  • Avantage : méthode pragmatique, ancrée dans le marché local, permettant de valider la cohérence d’une évaluation par rapport aux prix réellement pratiqués.
  • Limite : dépendance à la disponibilité et à la qualité des données comparables, difficulté d’application sur des biens atypiques ou en l’absence de références récentes.

Une évaluation pertinente du fonds de commerce d’un hôtel repose avant tout sur une analyse approfondie de l’établissement, prenant en compte ses caractéristiques propres, tant sur le plan opérationnel que patrimonial. Il est indispensable de croiser plusieurs méthodes d’évaluation (EBE retraité, empirique, comparables) pour affiner la valorisation et l’adapter à la réalité du marché.

En pratique, la “bonne” valorisation est celle qui peut être financée dans des conditions normales d’apport et d’endettement : un prix cohérent pour l’acquéreur, acceptable pour les banques, et réaliste pour le vendeur. Bien sûr, il existe toujours des exceptions liées à des projets personnels ou à des contextes particuliers, mais la règle reste celle d’un équilibre économique viable.

 

Les murs d’un hôtel

Qu’est-ce qu’on évalue ?

Les murs d’un hôtel désignent le bien immobilier dans lequel s’exerce l’activité hôtelière. Ils peuvent appartenir à l’exploitant lui-même ou à un investisseur tiers. Leur évaluation relève de la logique de l’immobilier commercial, distincte de celle du fonds de commerce, mais étroitement liée à l’exploitation.

Un point d’attention particulier concerne la présence éventuelle d’un logement de fonction dans l’immeuble. Il convient d’analyser si ce logement est nécessaire à l’exploitation (ex : logement du gérant dans un hôtel familial) ou s’il constitue un élément accessoire.

  • Si le logement est indissociable de l’exploitation et qu’il conditionne la bonne gestion de l’établissement, il doit être intégré dans la valorisation des murs à usage hôtelier.
  • À l’inverse, si ce logement peut être détaché sans nuire à l’activité, il convient de le valoriser séparément, selon sa vocation résidentielle.

 

Comment l’évalue-t-on ?

Par principe, les murs occupés d’un hôtel se valorisent uniquement par la méthode du revenu, en s’appuyant sur la valeur locative hôtelière.

La méthode par le revenu consiste à déterminer la valeur d’un immeuble en fonction des revenus qu’il procure à son propriétaire, en l’occurrence les loyers perçus ou potentiels. Pour les murs d’hôtel occupés, cette approche est la seule pertinente car elle prend en compte la spécificité monovalente de l’exploitation : l’immobilier est directement lié à la rentabilité de l’activité hôtelière.

La valeur des murs est obtenue en capitalisant la valeur locative hôtelière :

Valeur des murs = Valeur locative hôtelière / Taux de capitalisation

Il ne s’agit pas d’un loyer “négocié” ou estimé selon des usages généraux de l’immobilier d’entreprise, mais bien d’une valeur locative déterminée par une méthode spécifique à l’hôtellerie, validée par la jurisprudence.

 

Le taux de capitalisation représente le rendement attendu par un investisseur immobilier en contrepartie du risque associé à la détention des murs.

Plus le risque perçu est élevé (zone secondaire, exploitant fragile, bail court ou mal sécurisé), plus le taux appliqué sera élevé, ce qui diminue la valeur des murs.

À l’inverse, un actif bien placé, occupé par un exploitant solide avec un bail sécurisé, permettra d’appliquer un taux plus faible, traduisant un risque moindre.

L’investissement hôtelier est généralement considéré comme peu risqué, notamment dans les zones touristiques ou urbaines dynamiques, en raison de la récurrence des flux d’exploitation.

Quels taux observe-t-on en pratique ?

  • Pour des hôtels de bonne qualité situés en zone attractive, les taux de capitalisation se situent généralement entre 5 % et 7 %.
  • Pour des actifs situés en zone rurale ou présentant des risques spécifiques, les taux peuvent atteindre 8 % à 10 %, voire plus pour des cas très dégradés.

Il convient donc de s’informer précisément sur le marché local, en étudiant les transactions comparables et les pratiques observées, pour déterminer un taux pertinent.

 

Evaluer les deux ensemble ?

Il est pertinent d’évaluer simultanément le fonds de commerce et les murs d’un hôtel dans certaines situations où la maîtrise globale de l’exploitation et de l’immobilier constitue un véritable enjeu stratégique ou patrimonial.

Lors d’une valorisation, cette approche globale permet de vérifier la cohérence et la pertinence des évaluations respectives, en croisant les résultats obtenus.

Dans ce cadre, il est possible d’utiliser des méthodes empiriques ou des comparaisons de marché, en s’appuyant sur des coefficients globaux ou des valeurs à la chambre adaptées à l’évaluation conjointe de l’ensemble hôtelier (fonds + murs).

L’objectif est de refléter une valeur économique d’ensemble cohérente, tenant compte des spécificités du bien, de son exploitation et des usages observés sur le marché.


Photo

Publié par Adeline DESTHUILLIERS



Questions
Photo

En cliquant sur publier vous acceptez les [conditions générales d'utilisation]

Voir notre Politique des données personnelles