L’Hôtellerie Restauration : Vous avez pris la parole dans les médias au sujet de la mutuelle de branche. Quel est le fond du problème ?
Stéphane Manigold : Les syndicats de salariés ont demandé une meilleure protection de mutuelle, et j’y suis plutôt favorable. Mais les choses n’ont pas été faites dans les règles car il n’y a pas eu d’appel d’offres, ce qui est la règle de base. Par ailleurs, des personnes des différents syndicats patronaux, notamment au sein de l'UMIH, siègent aussi dans les conseils d’administration de ces mutuelles ce qui empêche de garantir la liberté de choix. Un syndicat doit être libre dans ses financements, autonome et transparent. Avec plusieurs chefs d’entreprise nous avons donc fait un appel d’offres et avons reçu deux propositions qui correspondent à nos contraintes et aux exigences des salariés, entre 30 € (Colonna) et 36 € (offre de la Satec). On peut toutefois se poser la question de savoir pourquoi on se chamaille sur ces sujets. Actuellement, la priorité, ce sont les prêts garantis par l’État [PGE], l’augmentation délirante des prix de l’énergie et des matières premières, la pénurie de main d’œuvre. L’hiver s’annonce rude avec une profession qui utilise à 90 % le gaz. Et Olivia Grégoire [ministre déléguée chargée du Tourisme, NDLR] nous demande un plan de sobriété énergétique. Mais quand on s’est déjà endetté pour pallier une fermeture administrative, ça devient très difficile. Nous sommes des entreprises, pas des associations à but non lucratif !
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Concrètement, la France est-elle compétitive ? Sommes-nous prêts à accueillir les grands événements sportifs de 2023 et 2024 ?
Je suis très heureux que la France accueille des événements comme la coupe du monde de rugby l’année prochaine ou les Jeux olympiques en 2024. Mais aujourd’hui, les restaurants les mieux gérés dégagent 10 points de marge. Lorsqu’on emprunte 25 % de son chiffre d’affaires pour un PGE, on rembourse donc 6,25 % de ces 10 %. C’est donc de l’argent qui va à la poubelle. Il nous reste 3,75 points pour parer à l’augmentation de l’énergie et des salaires. Avec 4 points d’inflation, ça ne passe pas. À cela, on ajoute des volontés d’investissement, notamment des plans énergétiques pour être plus vertueux, ce qui est normal et même essentiel. Ce n’est pas possible. Il ne faudrait pas que Paris soit la première ville au monde avec des restaurants fermés et des hôtels qui n’ont pas pu se rénover. L’Italie a financé 85 % de la rénovation totale de son parc hôtelier. Nous sommes des chefs d’entreprise : on paye nos dettes mais on demande un étalement. Si on veut que la France soit compétitive et s’en sorte face à l’augmentation de l’énergie, nous n’avons pas le choix.
L’autre problématique, c’est le recrutement. Aujourd’hui, nous avons des hôtels qui ferment des chambres parce qu’ils n’ont pas assez de salariés. Il y a 7 % de chômeurs sur le marché et des employeurs qui cherchent à recruter. Nous attendons avec impatience la réforme du chômage. La solidarité ne peut pas fonctionner ainsi. Il doit y avoir une prise de conscience.
Comment, selon-vous, rendre le secteur plus attractif ?
Il faut un deal gagnant entre les salariés et l’entreprise. On se doit, en tant que chef d’entreprise, d’intéresser nos collaborateurs. Les salariés doivent avoir conscience des problématiques que peut rencontrer une entreprise, c’est grâce à cela qu’ils seront force de propositions. Il faut également revaloriser les métiers de la salle. Le chef fait venir le client mais c’est la salle qui le fidélise. Pourtant il y a une forme d’ingratitude dans ces métiers, alors qu’il y a un outil formidable : le pourboire - qu’il est important de partager avec tout le monde, même le plongeur. Il faut également impliquer nos collaborateurs sur les démarches sociales et environnementales. C’est comme ça qu’on donne du sens à son travail. C’est au manager de montrer les bonnes habitudes. On a plus de 400 métiers différents dans notre secteur, comme dans l’armée. Peu importe le niveau d’études, on a tous notre place, avec un ascenseur social qui fonctionne. Il est important d’être dans une perspective de fierté par rapport au travail.
Qu’est-ce que la profession peut faire pour lutter contre le chômage ?
Notre secteur est un véritable incubateur de formation. Aujourd’hui, il y a 300 000 personnes qui sont éloignés de l’emploi. Qu’ils viennent chez nous, nous sommes prêts à les former et à tendre la main à toutes les personnes en réinsertion. Nous devons être des vecteurs de messages positifs.
De nombreux locaux commerciaux sont disponibles partout en France, et particulièrement à Paris. Qu’en pensez-vous ?
12,5 % des commerces de Paris sont disponibles et notre président nous parle de la fin de l’abondance. Il y a une vraie crise de confiance. La grande démission des patrons a aussi commencé. Depuis 2015, l’ensemble de notre profession et des commerces a l’impression de courir dans un champ de râteaux. De nombreux restaurateurs gagnent moins que leurs salariés. Même les entreprises de l’Etat ont du mal à recruter. Comment se projeter ? Il y a des démissions parce qu’il n'y a pas de perspectives. Il faut absolument redynamiser notre métier.
Certains professionnels préconisent un diplôme pour pouvoir ouvrir un restaurant. D’autres évoquent l’idée de faire la distinction entre les restaurants, qui produisent du fait maison, et les autres, qui ne pourraient pas bénéficier de cette appellation. Quel est votre point de vue ?
Il faut absolument rajouter de la transparence. Quand on va au restaurant, on doit savoir si c’est industriel ou fait maison. C’est ce qu’on appelle de la concurrence loyale. Si le restaurateur décide de faire de l’industriel, c’est un choix qu’il doit assumer en le faisant savoir aux consommateurs. Le grand combat que nous allons mener, c’est celui-ci : que les restaurants qui produisent à partir de produits industriels le mentionnent. Ce n’est pas à ceux qui proposent du fait maison de le dire. C’est une nécessité absolue pour notre patrimoine. Nos métiers ne doivent pas être une jungle. C’est comme les dark kitchens, ces entrepôts qui proposent de la vente à emporter, sur lequel planne un flou juridique et où il n’y a pas de contrôle malgré le manque de respect de certaines règles, notamment d’hygiène [Les dark stores seront désormais considérés comme des entrepôts ce qui permettra aux maires de les interdire dans leurs plans locaux d'urbanisme, NDLR]. Il y a une grande inégalité sur le marché, et le service public y participe.
Vous êtes assez médiatique. Vous passez à l’émission des Grandes Gueules sur RMC, vous êtes souvent invité sur le plateau de BFM, on vous a vu dans l’émission de RTL La France qui bouge. Pensez-vous que ça puisse servir la profession ?
Bien sûr que d’être médiatique sert la profession. Je me fais l’écho de la profession mais aussi des producteurs, des vignerons. J’ai envoyé un message à Valérie Pécresse au sujet des cantines scolaires, et si elle m’a répondu, c’est parce que je suis médiatique. Cela me permet de parler, de tester l’avis du grand public. Face aux défis que nous rencontrons, le secteur a besoin de personnalités fortes pour le défendre. Je rappelle que je n’ai pas tremblé face à Axa.
Comptez-vous vous présenter à la présidence de l’Umih ?
J’y réfléchis.
Stephane Manigold UMIH mutuelle attractivité
Publié par Romy CARRERE