L’Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?
Stéphane Buron : Je devais avoir 8 ans. Ma mamie était une grande cuisinière ménagère qui faisait toujours des repas à 5 ou 6 plats. Et j’avais un grand-père qui était un grand charcutier sur Valence. J’ai eu la chance de faire avec lui beaucoup d’étoilés Michelin dont Pic. J’ai vu aussi ce qu’il préparait en tant que traiteur comme les saumons en Bellevue. Ça m’a fasciné de voir ces saumons décorés. J’ai attendu mes 16 ans pour partir en apprentissage. C’est mon grand-père qui m’a trouvé une place d’apprenti à l’Hôtel Bragard à Gérardmer. On était trois apprentis, dont Frédéric Anton, et nous étions habillés comme des princes car c’étaient les établissements Bragard qui nous habillaient.
Depuis 1987, vous officiez au Chabichou auprès de Michel Rochedy. En 2018, après le rachat par le groupe Lavorel, vous avez pris les commandes de la cuisine. Comment a-t-elle évolué ?
J’ai été plus de trente ans le chef d’un chef emblématique et j’ai fait sa cuisine pour que cela lui ressemble. Il m’a toujours remercié de ne pas avoir voulu changer sa vision. Certes, je l’ai un peu modernisée en trente ans. Maintenant, encore je fais appel à mes souvenirs d’enfance et à ceux avec mes anciens chefs. Mon bar caviar, c’est un souvenir de Monsieur Rochedy. Je n’ai jamais vu autant de caviar qu’en arrivant au Chabichou ! À l’époque, il faisait un bar vapeur dont il enlevait la peau et qu’il recouvrait de caviar. J’ai voulu le revisiter de façon plus artistique et plus technique. Dans ma cuisine, rien n’est laissé au hasard. C’est une cuisine de beaux produits, de terroir, de saisonnalité qui allie technicité et modernisme. Chaque plat est un tableau.
Y a-t-il eu des changements au Chabichou ?
J’ai la chance d’avoir la confiance de Jean-Claude Lavorel et d’avoir pu réduire de moitié le nombre de couverts, de 70 à 35, tout en gardant la même brigade. Nous avons aussi amélioré le confort des convives avec des tables et des fauteuils très espacés. Du temps de Monsieur Rochedy, on fonctionnait à 90 % avec la carte et 10 % avec les menus. Aujourd’hui, on a changé de concept avec les trois menus Expériences et les chiffres ont été inversés. Les gens ont envie de voyager dans mon univers, découvrir ma cuisine et de vivre une expérience. Il y a en parallèle un très gros travail en salle pour expliquer la cuisine et faire partager cette vision.
Des nouveautés dans l’art de la table ?
J’ai une cuisine végétale, minérale, plus légère, et pour lui correspondre encore mieux, on a inclus les assiettes de Three Seven avec du feuillage ou encore les tables et les pieds de table en bois sculpté. Cette année, j’ai fait un gros travail avec de la pierre et du bois. J’ai remplacé les sets de table en cuir par des sets en racines de teck que j’ai fabriqués. J’ai complètement réhabilité mes charriots avec du bois pendant le confinement.
Vous avez choisi de partager avec nous votre recette de fondue au fromage. Pourquoi ce choix ?
Car on est en Savoie et surtout parce que ma mamie avait une épicerie fine dans les années 1970-80 qui faisait du fromage à la coupe. Elle râpait les parures de ses fromages auxquelles elle ajoutait de l’emmental pour faire du gruyère râpé. Ainsi, elle n’avait jamais de pertes. Et les clients en redemandaient car ce mélange était très bon. La fondue du Chabichou n’est pas faite à partir de parures mais de morceaux de fromages du plateau qui sont devenus trop petits pour y figurer. C’est un mélange de très bons fromages en écume. Aujourd’hui, ma fondue est à base de beaufort d’été et ressemble à une prairie. Il faut être fou pour dresser à la pince à épiler toutes ces herbes et fleurs dans cette écume !
Quel manager êtes-vous ?
Ici, nous avons toujours privilégié les équipes. Par exemple, nous faisons un roulement une semaine sur deux. L’équipe du matin est en coupure de 14 h 30 à 18 heures. L’équipe du soir arrive à 14 heures. Être en coupure le matin une semaine sur deux permet de se reposer.
S’il y a un souci, on en discute. J’ai toujours dit que je ferai le contraire de ce que j’ai vécu quand j’étais jeune. Pas question de crier, c’est une perte de la maîtrise de soi-même. Donner des corvées ou faire des remarques devant toute la brigade, cela ne doit pas perdurer. J’ai signé la pétition ‘Touche pas à mon commis’ pour cette raison. Il faut aussi savoir dire quand le service s’est bien passé.
La place des femmes dans les restaurants gastronomiques a également beaucoup évolué en 30 ans. Il n’y avait pas de femmes ou très rarement, y compris en salle. Au Chabichou, nous comptons 8 femmes en cuisine et 9 en salle.
Quand vous allez rouvrir le 10 décembre, après vingt mois de fermeture. Comment avez-vous vécu cette période ?
Nous avons réalisé des événements, des recettes sur internet. Cela m’a permis de trouver des petits producteurs locaux pour être encore plus proche du terroir et la préparation d’un livre [lire ci-dessous/contre] m’a pris huit mois. J’ai hâte de reprendre. L’aventure, je la vis aussi avec mon fils Antonin, 23 ans. C’est mon premier chef de partie tournant. Cela fait trois ans qu’il travaille l’hiver au Chabichou et avec Arnaud Donckele à Saint-Tropez pendant l’été. Le but, c’est qu’il s’investisse auprès des chefs de partie pour expliquer ma vision de la cuisine. Je veux qu’il soit le garant de ce que je veux faire. En même temps, je souhaite que l’on soit soudés et qu’il apporte aussi des idées. Cela fait sept ans qu’il est dans la brigade l’hiver et je souhaite qu’il reste avec moi.
Vous pensez à la troisième étoile avec lui ?
Si on les a ensemble tant mieux. Mais peut-être que c’est lui qui les aura et pas moi. Et je serai aussi fier que si c’était moi qui les avais eues, car cela voudra dire que j’ai été son mentor jusqu’au bout.
#courchevel# #stéphaneburon# Chabichou
Publié par Nadine LEMOINE
mardi 9 novembre 2021