Éric Frechon : "Un plat ne doit jamais laisser indifférent"

Paris (75) Le chef 3 étoiles du restaurant Épicure, au Bristol Paris, partage sa vision de sa cuisine dans un livre publié aux éditions Solar. Deux ans de travail pour un résultat magistral. Un livre d'art tout simplement.

Publié le 09 novembre 2016 à 10:55

L'Hôtellerie Restauration : Vous avez déclaré : "J'ai été gâté aux fourneaux du Bristol, et pourtant, j'ai le sentiment que l'on connaît mal ma cuisine." Pouvez-vous nous en dire plus ?

Éric Frechon : Je suis très gâté depuis dix-sept ans au Bristol, mais comme cela fait longtemps que je suis ici, ceux qui sont venus une ou deux fois il y a des années se disent qu'ils connaissent ma cuisine. Or, ma cuisine a évolué. Avec ce livre, j'ai voulu montrer cette évolution au fil du temps et ce qu'elle est aujourd'hui. On trouve les incontournables comme la poularde [cuite en vessie, suprême au vin jaune, bonbons d'abats, girolles et écrevisses flambées au cognac. Les cuisses cuites au bouillon de poireaux et pommes de terre truffées] ou les macaronis [farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan], mais aussi des plats récents comme les poireaux aux huîtres [cuits entiers au grill, beurre aux algues, tartare d'huîtres Perle blanche, cébette et citron], les oursins [en coque, langues et écume d'oursin, fine brouillade d'oeuf, mouillettes de beurre aux algues], le céleri cuit entier à la truffe, le ris de veau et couteaux [piqué à l'anchois, doré au sautoir et beurre d'algues, couteaux et coques au jus de laitue]. Ma cuisine est contemporaine.


Que faut-il savoir sur votre cuisine ?

On n'associe pas mon nom à une cuisine autour du légume, alors que je ne conçois pas une carte sans un plat de légumes depuis plusieurs années. En fait, je ne fais que suivre mes goûts. J'aime manger des légumes et je les cuisine. J'essaye d'apporter une originalité, un goût. Au fil des saisons, j'attends les légumes avec impatience. Je ne fais pas une cuisine de mode, je fais la cuisine que j'aime manger et partager, même si je prends toujours le même plaisir à déguster un lièvre à la royale. Je pense aussi que ma cuisine a gagné en raffinement avec les années. J'ai beaucoup affiné mes plats. C'est l'évolution du palais qui mène celle de la cuisine. Là où je prends le plus de plaisir aujourd'hui, c'est dans la création, faire grandir les plats et partager avec les équipes car je les implique beaucoup dans le processus de création.


Pouvez-vous nous parler de votre cadre de création ?

Le cadre de création, c'est pour moi un terrain de jeu, un espace où l'on ne s'interdit rien. Par exemple, lorsque l'on crée un plat, il doit épater soit par son esthétique soit par le goût ou les deux, mais il ne doit jamais laisser indifférent. Je pars du principe qu'un plat doit rester dans la mémoire du client, trois, quatre, dix ans, voire toute la vie. Il doit toujours être meilleur. Si ce n'est pas le cas, il n'ira pas à la carte. On ne fait pas de la création pour de la création. On épure beaucoup car on privilégie la quintessence du produit. Mais on travaille aussi les associations pour créer des goûts uniques. Il faut aussi penser à la signature de sa cuisine, qui doit être reconnue. La mienne est classique mais contemporaine. C'est important.


Quelle est l'histoire des Macaronis farcis de truffe noire, artichaut et foie gras de canard gratinés au vieux parmesan ? Comment avez-vous réagi la première fois que vous avez vu que votre plat était copié ?

C'est à La Verrière que j'ai créé les macaronis. Ils étaient farcis à la morille et aux champignons de Paris et gratinés au fromage. Ils me servaient de garniture pour un quasi de veau. Quand je suis arrivé au Bristol, je me suis dit qu'ils étaient tellement bons qu'il fallait que je les serve seuls en plat. Je les ai travaillés à la truffe et au foie gras avec de l'artichaut. Il a fallu trouver les bons dosages et le temps de cuisson. Je reconnais que c'est un plat très technique, un travail de fou même, et qu'il coûte très cher à concevoir. Mais les macaronis sont à la carte depuis dix-sept ans et ils n'ont pas changé. Je les goûte tous les matins en testant la farce et je ne m'en lasse pas. Ils représentent toujours 50 à 60 % des ventes des entrées. Les clients viennent pour eux.

C'est vrai qu'en voyant certaines photos, on se rend compte que ma cuisine est regardée, pour ne pas dire copiée. Pour moi, 3 étoiles dans une cuisine, c'est une signature, donc on ne peut pas copier ou plutôt on ne devrait pas copier. Au départ, ça m'énervait un peu. Je me disais que s'ils copiaient, c'était qu'ils n'étaient pas inspirés et que nous on l'était ! Mais la copie ne vaut pas l'original. Quand on copie, c'est que l'on a déjà un train de retard !


Petit retour en arrière : quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisinier ?

J'avais 14 ans et je voulais un vélo. Mon père m'a dit d'aller travailler pour me le payer, ce que j'ai fait dans un restaurant. J'ai ouvert des huîtres, servi en salle et je suis passé en pâtisserie. L'ambiance du restaurant, le fait d'être au service des clients, le coup de feu, c'est ce que j'ai aimé au départ. J'ai demandé à faire une école hôtelière et je suis allé à Rouen. J'avais 15 ans et j'en suis sorti deux ans plus tard. La chance que j'ai eue, c'est que les meilleurs élèves étaient envoyés dans les grandes maisons parisiennes. Comme je n'étais pas mauvais en cuisine, j'ai atterri à La Grande Cascade.


Quel grand plat de l'histoire de la cuisine est votre favori ?

Le lièvre à la royale qui est l'un des plus grands plats de la cuisine française et que j'ai mis trente ans à mettre au point… D'abord, j'ai appris avec les chefs des recettes toutes différentes, et quand je suis arrivé au Bristol, j'ai fait mon propre lièvre à la royale, qui a évolué jusqu'à il y a cinq ans, où je l'ai figé. J'ai pris les meilleurs morceaux du lièvre, les épaules, j'ai créé une farce parfumée et pas trop grasse, on a trouvé le point de cuisson - 36 heures à basse température -, et le fond de lièvre est quasiment fait en direct. On a ainsi une sauce beaucoup plus légère. Avec ce plat, le cuisinier peut s'exprimer : la sélection des produits, les marinades, les sauces, les farces, la cuisson… là il y a de la cuisine ! Le métier de cuisinier s'exprime et ne s'improvise pas. C'est un condensé de savoirs et de techniques de la cuisine française.


 Votre plat préféré à votre carte ?

Le Ris de veau aux couteaux et coquillages. C'est une belle création terre et mer car le mariage des goûts est un peu improbable et surtout original. Il est aussi très surprenant avec ses différentes textures. Ça bouscule le cerveau !


Le plus beau compliment ?

Lorsque des clients me parlent de plats qu'ils ont dégusté des années auparavant, c'est émouvant.


La critique qui vous a le plus marqué ?

Je suis déçu lorsqu'un client ne comprend pas ma cuisine. Cela arrive très rarement heureusement, mais c'est frustrant car on fait ce métier pour faire plaisir. Il faut être à l'écoute du client pour redresser la barre tout de suite, proposer des plats qui lui correspondent mieux.

Le secret de la réussite ?

Il faut savoir être patient, même si on a une ascension plutôt rapide dans ce métier. Prendre le temps de faire plusieurs maisons pour expérimenter des cuisines modernes ou plus classiques permet aussi de se construire un CV qui fera la différence. Il faut échanger, parler avec ceux qui ont une grande expérience dans la brigade. C'est enrichissant. Même s'il y a quelques sacrifices à faire, ce métier vous le rend tellement !


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Publié par Nadine LEMOINE



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