David Charrier : "M’ouvrir aux autres me fait progresser"

Saint-Émilion (33) Le chef d’origine vendéenne est installé au sein du restaurant Les Belles Perdrix - 1 étoile verte et 1 étoile Michelin -, depuis dix ans. La particularité des lieux : être niché au cœur du domaine viticole premier grand cru classé Saint-Émilion Troplong Mondot. Rencontre avec un chef passionné et ouvert d’esprit.

Publié le 15 janvier 2024 à 09:30

L’Hôtellerie Restauration : Quand avez-vous su que vous vouliez devenir cuisiner ? 

David Charrier : Je voulais entrer dans la gendarmerie ou pourquoi pas devenir cuisinier. Je suis allé à des portes ouvertes en troisième et je me suis rendu compte que la gendarmerie ce n’était pas pour moi. Puis j’ai fait un stage découverte dans un restaurant et il y avait une ambiance qui m’a tout de suite plu. Ça me faisait du bien d’être dans ce milieu. J’ai effectué mon premier stage dans le cadre de l’école hôtelière dans un restaurant dans le Périgord. On était beaucoup de stagiaires, c’est comme si on faisait partie de la famille, on prenait nos repas et on sortait avec les propriétaires. C’était assez drôle et dingue à la fois.

 

Comment voyez-vous votre cuisine ?

Depuis 2021, j’ai la chance et la fierté de travailler avec la même équipe. On est serein, on peut échanger entre nous. Ça nous amène vers des choses où on n’aurait pas eu idée d’aller. On se sert de nos bases, de ce qu’on a pu faire les dix dernières années ici pour évoluer. À 40 ans, j’ai envie de proposer une expérience qui nous est propre. La fermeture de la maison m’a fait beaucoup de bien, ça m’a permis de voyager, de me poser des questions, de refaire des stages chez Arnaud Lallement et Sébastien Bras, découvrir d’autres organisations. Aujourd’hui, grâce à la confiance que ma direction me porte, je peux assumer ma cuisine. Quand on est jeune, on veut souvent en rajouter. Maintenant, je veux que ce soit juste, que ça corresponde à ce que l’on annonce. Je propose une cuisine liée au lieu, aux maraîchers qui nous entourent. Nous avons deux potagers sur la propriété, on maîtrise tout, le jardinier travaille en permaculture. On s’en sert en permanence pour ramener quelque chose de saison dans l’assiette, pour créer des plats marquants autour du végétal. Avec un potager, il faut se forcer à travailler d'une certaine façon pour mettre en avant la richesse qu’il peut nous offrir. C’est une source d’inspiration. C’est une fierté, on souhaite mettre nos légumes en avant.

 

Le restaurant est en plein cœur d’un vignoble réputé. Comment intégrez-vous cela à votre cuisine ? 

Il y a beaucoup de liens qui se font avec les sauces. En ce moment, par exemple nous travaillons un bar de ligne au vin rouge et à l’oseille. On a cette chance d’avoir une très belle carte des vins, avec plus de 800 références. On échange beaucoup avec Charlotte Robin, la cheffe sommelière. Elle goûte toutes les sauces, c’est ça le vrai lien. Elle a ensuite largement de quoi s’éclater et de proposer aux clients quelque chose qui fonctionne.

 

Quelles sont vos ambitions ?

Mon ambition est claire, je suis un compétiteur, je veux m’améliorer. Nous cherchons - la direction, l’équipe de salle, moi - à proposer à nos clients une expérience globale. On souhaite être différent dans l’accueil, avec plus de proximité, de bienveillance dans le service. On essaie de sortir des codes trop sérieux, trop guindés. On veut désacraliser ce restaurant étoilé et s’ouvrir à tout le monde. Nous travaillons sur cet axe-là et ça fonctionne plutôt bien. Si demain nous arrivons à avoir une autre récompense en restant nous-mêmes, nous aurons gagné. Il faut faire avec ses valeurs et convictions.

 

 

Qu’avez-vous mis en place récemment ?

Tous les premiers vendredis de chaque mois, de 11 heures à midi, avec Adrien Salavert, le chef pâtissier, Aymeric de Gironde, le président du château Troplong Mondot et des Belles Perdrix, Claire Payen, la directrice communication, et Anne-Sophie Besson, la maître d’hôtel, nous goûtons les plats, les nouveautés. Les cuisiniers et les pâtissiers nous passent les assiettes du moment et je les présente à l’équipe. Ce moment nous permet de déguster ensemble et ainsi d’échanger et de s’exprimer. On débat quelques minutes et on voit si le plat en vaut la peine, si on peut l’améliorer et comment. Ça permet aussi aux différents membres de l’équipe, comme la responsable de salle, d’écouter la manière dont je décris l’assiette, les adjectifs utilisés, ce qui favorise la transmission. La richesse des personnalités nous amène à nous perfectionner. 

 

Auriez-vous un conseil pour les jeunes en école hôtelière ? 

Faire des stages découverte, pour se rendre compte de la réalité. On est loin de ce qu’on peut voir dans les médias. On ne devient pas chef cuisinier du jour au lendemain. Comme pour tous les métiers de l’artisanat, c’est beaucoup d’apprentissage, c’est très long. Quand je reçois des jeunes en stage, je leur parle en entretien de la réalité du métier, de ce que l’on vit. J’ai vu tellement de gens autour de moi arrêter après l’école ou quelques années après. Sur ma promo, on est peut-être seulement encore deux ou trois à exercer.

 

Un chef qui vous inspire ?

Patrick Jeffroy, un chef avec qui j’ai beaucoup travaillé, qui m’a toujours soutenu et aidé.

 

Où vous voyez-vous dans 10 ans ? 

Ici, je me sens chez moi. J’ai vécu beaucoup de changements dans cette maison depuis dix ans et j’ai tout fait pour être un peu chez moi. Il me faudra du temps pour rebondir si je dois partir. J’ai trouvé un équilibre de vie dans ce petit village.

 

En quoi votre management a évolué ?

En 2017, lorsque Aymeric de Gironde, le président du château Troplong Mondot et des Belles Perdrix est arrivé, il m’a demandé en entretien ce qui me manquait dans le cadre de mon travail. J'ai exprimé le fait d’avoir des lacunes en management. Ce n’est pas quelque chose qu’on apprend en tant que cuisinier. Grâce à lui, j’ai réussi à grandir sur ma manière de manager. J’étais persuadé qu’être chef de cuisine était suffisant, mais en réalité non, ce sont les autres qui nous font progresser.

J’ai aussi remarqué qu’on avait souvent tendance à oublier de transmettre à l'équipe la direction dans laquelle on veut aller. Quand on est le capitaine, on doit emmener tout le monde avec nous, mais pour ça le message doit être clair. J’essaie ainsi de passer plus de temps sur les explications avec mes adjoints, à la salle. J’ai retenu aussi de l’expérience de l’un de mes stages chez les Bras l’idée de faire un briefing avec un café tous les jours à 10 heures, pendant lequel on énumère les tables, les clients réguliers, les intolérances… et si j’ai un message à faire passer, c’est à ce moment-là. Cela parait évident et pourtant ça ne l’est pas toujours.

 

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Publié par Romy CARRERE



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