“Durant la Première Guerre mondiale, un mobilisé sur deux demeurait loin des combats, à l’arrière, avec un sort bien différent. En juillet 1915, sous la pression des familles, Joffre autorise les permissions. Le retour des unités combattantes dans les villes et campagnes va être la source d’énormes frustrations”, explique Emmanuelle Cronier, agrégée et docteur en histoire à l’université de Picardie-Jules-Verne, membre du comité scientifique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.
La presse du front, alimentée par les chroniques des soldats, évoque “ces cafés et restaurants pleins à craquer”, alors que, pour d’autres, les combats font rage. Ce constat accablant s’additionnera d’une autre colère, celle de ne pas pouvoir, même pendant le retour à l’arrière, se remplir l’estomac et même le gosier. La moralisation de la vie publique impose à tous une sévère prohibition sur la consommation d’alcool. “En outre, la faiblesse de la solde ne permet pas aux permissionnaires de consommer tout ce qu’ils voudraient”, explique l’historienne, qui ajoute cette comparaison frappante : “En 1918, un petit noir au Café de la Paix à Paris coûtait 60 centimes alors que la solde d’un soldat du rang était de 1 franc !”
Le grand train des soldats américains
Les hôtels et restaurants de luxe sont fréquentés par des militaires étrangers dotés de meilleures soldes. Les Américains ‘aux poches bien garnies’ mènent grand train et pratiquent souvent sans vergogne le vol et l’escroquerie : “Ils se font livrer des mets de luxe dans des hôtels mais ne paient pas.” Cette clientèle anglophone est pourtant une aubaine. “Les restaurateurs traduisent les menus, embauchent du personnel bilingue. La devanture de Chartier est barrée d’un gigantesque Welcome”, explique, photo à l’appui, l’auteur de Permissionnaires dans la Grande Guerre (éditions Belin). Les grands hôtels hébergent des administrations et des soldats américains ou des clubs financés par des œuvres de guerre. Autour des gares du Nord et de l’Est - où arrivent les permissionnaires du front -, les militaires français s’abandonnent dans les hôtels, restaurants et cafés où se pratiquent la vente de boissons illicites et la prostitution.
Pas d’alcool pour les hommes, pas de sucreries pour les femmes
Partout en France, des hôtels sont réquisitionnés pour loger des réfugiés, des militaires ou des blessés. Les hôteliers se plaignent de la faiblesse des compensations mais tirent finalement profit de la situation en cette période de crise. En 1917, les garçons de café se mettent en grève pour obtenir les mêmes revalorisations de salaire que les ouvrières des usines d’armement. Des cafés kabyles prolifèrent, à Carpentras par exemple, où une énorme usine emploie de nombreux nord-africains. Sur la Côte-d’Azur, la consommation de limonade explose puisque c’est vers Toulon ou Marseille que les sobres tirailleurs sénégalais sont envoyés au repos. “Durant le conflit, on ne mourrait pas de faim en France, mais il y avait des pénuries que les régulations et l’intervention de l’État ont fort bien contenues. On manque de légumes frais et d’œufs. Cette situation favorise l’industrialisation de la nourriture avec, par exemple, des œufs en poudre, des bouillons en cubes et l’importation de viande surgelée. Prosper Montagné devient consultant pour l’armée et contribue à former les cuisiniers du front, qui ne sont pas des professionnels”, liste Emmanuelle Cronier. L’historienne évoque encore le rationnement qui s’abat sur la pâtisserie : “On manque de sucre. Les jours d’ouverture des pâtisseries sont restreints. Les femmes sont même accusées de s’y livrer à la gourmandise plutôt que de participer à l’effort de guerre dans les usines.”
#PremièreGuerreMondiale# #EmmanuelleCronier# Prosper Montagne
Publié par Francois PONT