Michel Morin dit non à la démagogie et au gaspillage

Paris Michel Morin, président depuis mars dernier du SNRTC nous livre son sentiment sur l'actualité.

Publié le 08 juillet 2013 à 11:38

Vous avez été élu le 27 mars dernier à la tête du Syndicat national de la restauration thématique et commerciale. Quels sont ses atouts ? Comment résumez-vous cette organisation ?

Michel Morin : C'est un syndicat jeune, qui regroupe des enseignes indépendantes et des chaînes comprenant un certain nombre de franchisés.  Le SNRTC représente aujourd'hui  1 700 établissements,  370 000 repas servis chaque jour, plus de 37 000 salariés et 2,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires.  Nous avons, parmi nos atouts, la capacité à rassembler très rapidement des données et des chiffres fiables, représentatifs et qui concernent l'ensemble du territoire. Toutes les enseignes sont en mesure de fournir très précisément les éléments nécessaires à un constat, une évolution, un état des lieux. Notre organisation travaille dans l'échange et dispose de spécialistes dans tous les domaines :juridique, fiscal ou encore social. Notre force réside aussi dans notre capacité à répondre de manière concrète aux adhérents.


Cette capacité à rassembler des chiffres vous amène à dénoncer l'impact du CICE…

M. M. : Pour bien comprendre, reprenons les choses depuis deux ans.  Fin 2011, une étude du SNRTC portant sur l'analyse de près de 65 millions de repas servis en 2008 (avant la baisse de la TVA de 19,6 % à 5,5 %), puis d'un même nombre de repas servis en 2010 (après la baisse) permettait d'établir un bilan financier du secteur : calcul du bénéfice de l'harmonisation de la TVA sur l'ensemble des métiers de bouche et détail de l'utilisation faite de ce supplément de marge. Cette étude avait permis de démontrer que la TVA unique dans la restauration avait conduit à un solde résiduel pour les restaurateurs de 2,1% du CA HT, solde destiné à financer les investissements et la modernisation du secteur. Il en ressortait que les mesures prises par le gouvernement (accroissement des charges, suppression des subventions accordées) avaient sensiblement grignoté les marges des restaurateurs. Compte tenu des efforts significatifs dans le domaine social et de la baisse des prix en faveur des consommateurs, il apparaissait que 80% du supplément de marge lié à la baisse de TVA avait en fait profité aux salariés, aux consommateurs et à l'Etat. En novembre 2012, le premier ministre a annoncé la mise en place d'un Pacte national pour la Croissance, la Compétitivité et l'Emploi, avec un dispositif phare : le Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi (CICE) bénéficiant à l'ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille. Parallèlement, la restauration verra son taux intermédiaire de TVA passer de 7 à 10 % au 1er janvier 2014, le taux normal passant de 19,6% à 20%. Le SNRTC rappelle que le CICE n'a pas pour but de compenser d'éventuelles hausses de TVA mais de permettre d'accroître la compétitivité des entreprises, pour preuve, des secteurs qui vont bénéficier de la baisse de TVA de 5,5 à 5% bénéficient du CICE. Une autre étude menée par le SNRTC auprès de ses adhérents et qui sera diffusée prochainement démontre que non seulement le CICE est largement inférieur à l'impact de l'augmentation du taux intermédiaire de TVA sur les marges des restaurateurs (+1,5% à comparer à -2,3%) mais que, par ailleurs, de nombreuses autres mesures et taxes ont fini de « grignoter » le complément de marge (destiné aux investissements) que les restaurateurs avaient pu tirer de la baisse initiale du taux de TVA en 2009. Le solde résiduel du « bénéfice TVA » est désormais négatif puisqu'il s'élève à - 2,01%, y compris en tenant compte de l'incidence positive du CICE. Ce solde négatif signifie que les entreprises de la restauration voient aujourd'hui leurs marges se dégrader par rapport aux années précédant la mise en place de la TVA à taux réduit et ceci, indépendamment du contexte économique par ailleurs difficile auquel est confronté le secteur depuis 2012 et sur le premier semestre 2013. Ce manque à gagner impacte directement la marge de manoeuvre nécessaire aux entreprises du secteur pour faire face aux investissements utiles à la modernisation ou à la mise aux normes des outils de production.

Allez-vous donner des consignes aux entreprises en matière de TVA ?

M. M. : Non, chaque entreprise va s'adapter comme elle l'entend. Mais, comme je viens de vous le dire, les entreprises commerciales ont de réelles difficultés  et l'emploi est directement concerné. En mai dernier, nous avons lancé une enquête auprès de nos adhérents afin de recenser le nombre d'heures travaillées au cours des premiers trimestres 2011, 2012 et 2013, sur un périmètre comparable de restaurants. Nous voulions pouvoir mesurer l'étendue du problème. Notre objectif était de mettre en évidence une diminution du volume d'heures travaillées mais la capacité de nos entreprises, dans un contexte de baisse d'activité, à poursuivre leurs efforts en termes de maintien des salariés dans l'emploi ou de recrutement. Or, sur la période, nous avons fait non seulement le triste constat d'une diminution sensibles des heures de travail au sein des entreprises mais aussi, à périmètre comparable, celui de la destruction de plus de 2 500 emplois, très majoritairement au sein du collège employés.  En d'autres termes, il y a eu 10% d'emplois sacrifiés en deux ans au sein de la restauration commerciale en France. C'est la première fois que notre secteur détruit des emplois. Nous avons alerté les pouvoirs publics dès la sortie de cette étude. Nous ne sommes pas délocalisables et les français aiment aller au restaurant, ne mettons pas à genoux un secteur porteur…  A la rentrée, nous allons publier un nouvel état des lieux sur l'emploi ; tout va très vite et il est impératif de savoir où nous allons.

Le SNRTC a pris part à la signature du pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, lancé par le ministre délégué à l'agroalimentaire, Guillaume Garot.  Vos objectifs ?

M. M. : La lutte contre le gaspillage est un combat nécessaire. Mais ce n'est pas la partie visible, c'est-à-dire les retours cuisine, ce qu'il y a dans l'assiette, qu'il faut s'attaquer en priorité. La réalité, c'est tout ce qu'il y a en amont, tout ce que le restaurateur jette avant. Je vais prendre l'exemple d'une d'un conditionnement en carton de 24 flacons de moutarde en DLO. Le carton n'est pas terminé alors que la date est déjà dépassée ! Le cas est très fréquent. De même, la gestion des portions de viande sous vide conditionnées par dix, dont les DLC sont évidemment courtes, n'est jamais simple. Or, ce gaspillage, peut être limité. Nous devons engager une réflexion avec les industriels, nous devons également sensibiliser nos équipes, former sans doute davantage notre personnel à cette gestion des matières premières. La lutte contre le gaspillage en restauration ne se limite pas au doggy bag. C'est un vrai sujet, qui concerne avant tout les habitudes et les process. Nous souhaitons établir des recommandations qui permettront aux entreprises d'avancer dans le bon sens.

Votre sentiment sur le fait de mentionner les allergènes ?

M. M. : Nous allons devoir prévoir de grandes cartes ! Nous discutons actuellement avec les services des fraudes de la DGCCRF pour leur expliquer les contraintes pratiques et techniques qui accompagnent chez nous cette mesure,  sans compter, en 2017, l'arrivée de l'information nutritionnelle, et, entre temps, les mentions fait maison. Dans la réalité d'une cuisine, garantir qu'il y a 0 allergènes est  assez irréaliste en fait.

Concernant l'accessibilité ?

M. M. : Les nouvelles constructions ne posent pas de problème, nous parlons ici de l'existant. C'est un sujet là encore très compliqué pour la profession et très coûteux. Nous pensions qu'il y aurait des assouplissements mais ce ne sera pas le cas. Il y a aura sans doute des dérogations et des reports de date, rien d'autre. En revanche, dans le cas d'une demande de permis de construire ou d'un changement d'enseigne, l'établissement fera face à de réelles difficultés. Nous intervenons à l'heure actuelle auprès des ministères compétents pour obtenir le 100% services, plutôt que le 100% accessible, dans les établissments existants.

Peut-on rester optimiste dans ce contexte général ?

M. M. : Moi, je le reste et je vais tout faire pour que la profession ait envie de continuer. Même si nous somes dans la bourrasque, les français aiment sortir et se retrouver dans nos établissements. D'autre part, si nous recrutons des professionnels, nous recrutons aussi des personnes sans bagage, à qui nous mettons le pied à l'étrier.  D'accord, on nous oppose un certain turnover, mais je crois que lorsque ces personnes viennent travailler ne serait-ce que six mois dans notre secteur, c'est une expérience utile pour elles et pour leur avenir. Sans compter les salariés qui restent et qui progressent. Quant au débat qui a précédé l'obligation de la mention du fait maison, il m'a paru complètement surréaliste. J'ai juste envie de vous rappeler que,  Laurent Caraux, qui est désormais président d'honneur du SNRTC, a toujours lancé un appel à l'unité. Je souhaite poursuivre dans cette voie. J'ai entendu cette phrase et je voudrais la reprendre pour la restauration car elle me paraît très appropriée : ce n'est pas un gâteau que nous devons partager, mais bien une mayonnaise que nous devons faire monter. Il y a de la place pour tout le monde.


Publié par Propos recueillis par Sylvie Soubes



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