“Quelle belle acidité !”, s’enthousiasme Côme de Chérisey dans la cuisine ouverte de Raphaël Régo, chef brésilien installé à Paris qui avait bénéficié de la dotation des Jeunes Talents en 2017. “Il vient d’obtenir une étoile au Michelin. Six nouveaux étoilés, dans la dernière édition du guide rouge, ont reçu, depuis moins de deux ans, la dotation que j’ai créée”, explique celui qui se définit comme découvreur de talents. Chez OKA (Paris, Ve), son bouleversement semble intact. Ce n’est pourtant pas la première fois que le critique goûte cette purée de fèves noires cuites à basse température pendant dix jours : “C’est l’une de mes grandes émotions gustatives. Cette capacité à promouvoir les produits simples par les chefs appuie ma vision d’une gastronomie populaire.”
La nouvelle place des cuisiniers dans la société
“Le rôle sociétal des cuisiniers est considérable : pour choisir des produits, perpétuer un geste, défendre l’agriculture en choisissant leurs producteurs, former les jeunes mais aussi promouvoir le goût et des valeurs comme la cuisine du quotidien dans les cantines. Cette purée me rappelle une autre grande émotion vécue à Alger. J’avais mangé une soupe de pois chiches remarquable à base de produits très simple mais délicieux. Je pourrais aussi vous parler d’un caillé de lait de brebis par Alain Ducasse au Plaza, ou d’une patate douce mijotée et caramélisée chez Thierry Dufroux au Belhara (Paris, VIIe). Les cuisiniers peuvent aujourd’hui faire bouger les lignes en rendant ses lettres de noblesse à la gastronomie populaire », clame, avec conviction, Côme de Chérisey, arrivé en 2011 à la tête du guide jaune.
“Je devais redresser l’entreprise que j’ai finalement rachetée un peu plus tard. J’ai fermé le magazine déficitaire pour relancer et internationaliser le guide dans 22 pays. Une prouesse. Nous étions trois à l’international et huit pour la France”, rappelle-t-il.
De ses multiples voyages, il constate que l’offre complexe de la restauration française souffre de la concurrence des cuisines plus simple et plus lisibles d’autres pays : “Manger à l’étranger dans un établissement français reste motivé par un désir de célébration !” Côme de Cherisey se dit également frappé devant la bataille que mènent plusieurs pays - comme le Pérou, la Colombie, la Thaïlande… - pour promouvoir leur offre touristique grâce à la gastronomie.
Une jeunesse qui s’éloigne des cuisines
L’entrepreneur - qui dispense des cours à des étudiants “avec des projets entrepreneuriaux dans la restauration” à l’Institut supérieur de gestion (ISG) de Paris - analyse les attentes des jeunes. “Une étude démontre que 25 % des Millénnials n’aiment pas faire la cuisine. À New York, les promoteurs immobiliers ne prévoient plus de cuisine, juste un petit point de chauffe. La livraison explose. Au Gault&Millau, j’avais créé une rubrique ‘Pop’ en partant d’un constat : les jeunes sortent plus pour une expérience que pour une assiette. J’ai aussi changé la grille de notation de 100 à 70 pour la cuisine et 30 pour l’ambiance, l’accueil, le service ou le cadre. Plus que jamais, un restaurant est un théâtre”, affirme le gastronome qui, en dépit de 350 repas par an hors domicile, n’aura jamais perdu ni son âme ni sa ligne : “Cela a pu être interprété comme un manque de crédibilité au début, mais quand le plaisir est là, l’appétit s’arrête avant la satiété et on ne grossit pas !”
Heureux de disposer de quelques mois pour réfléchir “un moment rare dans la vie”, Côme de Chérisey semble bien trop au fait de l’actualité du secteur pour faire croire qu’il a raccroché son tablier : “Savez-vous que seulement 35 000 personnes fréquentent les 50 meilleurs restaurants. À un moment où les classements prolifèrent en moulinant toujours ce même top 50, qui se préoccupe des millions de personnes qui mangent dans les 100 000 restaurants qui suivent ?”
Gault Millau Côme de Cherisey #Oka# Raphael Rego
Publié par Francois PONT