Pourquoi l’utiliser ?
L’espèce humaine consomme de l’éthanol depuis longtemps… et même depuis plus longtemps qu’elle n’existe si l’on peut dire : les singes qui ont acquis des capacités de métaboliser l’éthanol avaient un avantage adaptatif, parce qu’ils pouvaient non seulement consommer les fruits, mais, en outre, consommer les fruits trop mûrs, fermentés. Et il faut observer que la synthèse de ce composé est ‘évidente’ : il suffit de laisser du sucre fermenter pour que les micro-organismes produisent de l’éthanol.
Après la domestication des végétaux, pour produire des breuvages fermentés, il y eu le grand progrès de la distillation, qui permit de récupérer la ‘quinte essence’ : d’abord de l’eau-de-vie, puis de l’éthanol presque débarrassé de son eau. Les premiers alambics datent d’un millénaire avant notre ère, et l’on a des traces de distillation de l’éthanol dès le neuvième sièce. Pourquoi ‘quinte essence’ ? Parce que, jusqu’à la Renaissance, on croyait la matière faite de quatre éléments, qui auraient été l’air, l’eau, le feu, la terre. L’éthanol, composé à la saveur brûlante, semblait distinct de tout ce que l’on connaissait alors.
Pourquoi l’utiliser ? Parce qu’il a un goût bien particulier et qu’il stimule des zones cérébrales du plaisir, tout comme le sucre, la caféine du café, ou d’autres stimulants aussi communs que la pipérine du poivre, par exemple. D’ailleurs, reconnaître son goût n’est pas suffisant : il suffit de sentir de la vodka - 40 % d’éthanol et 60 % d’eau - pour remarquer qu’elle a une odeur : on sent quelque chose quand on met le nez au-dessus. D’autre part, si l’on se pince le nez en en buvant une petite gorgée, on sent une brûlure, ce qui est une sensation ‘trigéminale’ (l’éthanol agit sur des récepteurs particuliers du nerf à trois branches dit trigéminal, qui détecte les brûlants, les piquants et les frais). Mais manifestement l’éthanol a une saveur, comme on le voit en diluant de la vodka avec de l’eau, pour moins percevoir la brûlure.
Pourquoi utiliser l’éthanol ? Parce que c’est très bon ! Je me souviens ainsi d’un repas à DOM, le restaurant d’Alex Attala, à Sao Paulo, au Brésil : le chef servait, avec chaque plat, un verre d’un jus très particulier d’un fruit rare de la forêt amazonienne, et c’était merveilleux ; mais est venu un breuvage bien supérieur aux autres… et c’était un verre d’un bon chablis !
Surtout, l’éthanol pur, ou une eau de vie de fruits sans goût autre que celui de l’éthanol, ou bien de la vodka, permettent de faire des cocktails sur mesure, quand on utilise la mixologie note à note, ce qui fait d’ailleurs l’objet du prochain concours international de cuisine note à note, dont la finale aura lieu à Paris début juin 2019.
Mais, pour terminer, parlons de la vodka, dont j’ai dit que c’était une solution faite de 40 % d’éthanol (environ) et de 60 % d’eau. C’est même la règle que, après la distillation, on évite les goûts en faisant passer la vodka sur du charbon actif, afin de capter les molécules odorantes. Pour autant, il y a des vodkas de différentes qualités, comme on le sait bien (et je ne parle pas d’y ajouter des herbes), parce que la qualité de l’eau est essentielle : ce sont les sels minéraux présents ou non dans l’eau qui vont principalement déterminer cette qualité.
Les précautions à prendre
Il faut quand même le dire : l’éthanol est un poison ! D’abord, les symptômes incluent une sédation et une perte de la coordination motrice. Puis le langage devient incohérent, il y a des troubles de l’équilibre et des vomissements, avant des dépressions respiratoires, le coma et la mort… et je passe les infarctus, les suicides, les hypoglycémies, l’accoutumance…
Il y a donc lieu de savoir quelle quantité on utilise… mais aussi quel produit on utilise : on se méfiera notamment du méthanol, ou ‘esprit de bois’, qui se trouve parfois dans des alcools mal distillés. Ce méthanol rend fou et aveugle, raison pour laquelle on doit ne pas conserver les fractions qui passent les premières, lors d’une distillation !
Quelques idées techniques
• Pour le concours de cuisine note à note, un des deux thèmes de l’année est : les cocktails. Pour autant, rien de plus simple, puisque, lors du congrès scientifique international en l’honneur de Louis Camille Maillard, à Nancy, j’ai préparé en moins d’un quart d’heure un cocktail pour 500 personnes : il a suffi de mêler de l’éthanol avec de l’eau (j’avais ajusté la teneur en alcool à 25 % ; on aurait pu ajouter autant d’eau que de vodka, si on n’avait pas eu d’éthanol pur), puis de dissoudre du glucose, de l’acide citrique, un peu de sel, du sucre (saccharose), d’ajouter un colorant et quelques gouttes de composés odorants en solution.
A noter que, à Montréal, dans une circonstance analogue, pour une conférence de presse devant 150 journalistes, nous avons de surcroît mis le liquide dans des siphons, avec des cartouches de dioxyde de carbone, pour produire des cocktails pétillants.
• En cuisine : il faut savoir que le flambage est surtout conseillé pour s’assurer que l’éthanol a disparu du vin ou des alcools utilisés pour les sauces. Pour autant, nous avons mesuré, au laboratoire, qu’il reste un peu d’éthanol dans les mets flambés. Le flambage lui-même, d’autre part, ne change pas la composition du produit flambé, car la température dans l’éthanol juste au-dessus dudit produit reste à 79 °C, la température d’ébullition de l’éthanol, et c’est seulement en haut de la flamme que l’on a mesuré 500 °C, à savoir loin de la casserole.
Cela dit, on sait que les cuisiniers ajoutent souvent du vin cru dans une sauce au vin, juste avant la cuisson : c’est sans doute pour l’éthanol présent, qui rehausse le goût de la sauce.
• À noter que l’on peut dissoudre dans l’éthanol des composés variés, qui ont des goûts particuliers. Par exemple, au lieu de faire des macérations dans l’eau ou dans l’huile, testez les macérations dans l’éthanol ou dans la vodka. Ensuite, on utilise ces extraits… comme les parfumeurs utilisent les alcoolats. D’ailleurs la solubilisation des matières odorantes dans l’éthanol a l’avantage que l’évaporation rapide de ce dernier, lors de l’application du parfum sur la peau, produit une fraîcheur appréciée.
Attention, dans cette application, à éviter des matières qui contiendraient des composés dangereux : personnellement, je n’irais pas du côté de la noix muscade, de l’estragon ou du basilic, par exemple.
• Quand on verse de l’eau dans du pastis, un trouble apparaît. Pourquoi ? Parce que le pastis contient de l’anéthole, matière à odeur anisée, en solution dans le mélange d’éthanol et d’eau ; mais quand on ajoute de l’eau, alors l’anéthole se retrouve sans assez d’alcool ; et comme il n’est pas soluble dans l’eau, il ‘précipite’ sous la forme de gouttelettes microscopiques, qui forment le trouble.
Cet effet peut être généralisé, en cuisine : partez d’une huile qui aura beaucoup de goût (par exemple, de l’huile de table que vous aurez stockée pendant une semaine avec du café moulu), et secouez un peu de cette huile avec de l’éthanol ou une eau de vie à haut degré d’alcool ; puis versez l’ensemble dans de l’eau, ou dans un liquide qui contienne de l’eau (café, jus de fruit, thé, bouillon, vin…). Alors vous obtenez le même trouble, et la mise en solution stable de l’huile parfumée.
Où s’en procurer ?
Pas besoin d’indiquer à des cuisiniers français où trouver de la vodka ou de l’alcool, de l’eau de vie…, n’est-ce pas ?
D’ailleurs, il n’est pas difficile, non plus, de fabriquer de l’éthanol plus ou moins pur. La distillation est simple, avec une cocotte-minute dont la soupape de sécurité est remplacée par un tuyau qui baigne dans l’eau froide, ce qui condense les vapeurs. Ou bien quand on met au congélateur (ou dehors quand il gèle) une solution qui contient de l’éthanol (vin, cidre…) : le glaçon que l’on retire ensuite est de l’eau pure, de sorte que le reste du liquide est concentré en éthanol.
Mais je crois que cela est interdit, en vertu de l’article 306 de la loi nº 92-677 du 17 juillet 1992 art. 108, art. 121 JO du 19 juillet 1992, avec décret nº 92-1431 du 30 décembre 1992 art. 1 à 6 JO du 31 décembre 1992, et décret nº 93-264 du 26 février 1993 art. 1 et 26 JO du 28 février 1993 en vigueur le 31 décembre 1992 : nul ne peut importer, acquérir à titre gratuit ou onéreux, louer ou faire réparer ou transformer un appareil ou des portions d’appareils propres à la distillation, à la fabrication ou au repassage d’eaux-de-vie ou d’esprits sans y avoir été préalablement et expressément autorisé par l’administration dans des conditions fixées par arrêté.
Une justification de cette autorisation doit être fournie à l’importateur, au vendeur, au donateur, au loueur ou au réparateur ou transformateur.
Tout particulier qui cède accidentellement un alambic ou une portion d’alambic est tenu de faire connaître à cette administration dans les quinze jours de la cession, les nom et domicile de son acheteur.
L’autorisation mentionnée ci-dessus est refusée aux personnes physiques autres que les distillateurs de profession, sauf si elles justifient de la nécessité d’utiliser des appareils ou portions d’appareils pour des besoins professionnels excluant la production d’alcools de bouche et d’eaux-de-vie.
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Publié par Hervé THIS