Gérald Passedat garde le cap. Invariablement. Le chef triplement étoilé ne déroge pas aux deux principes qu’il s’est fixé depuis qu’il a repris Le Petit Nice, àMarseille, il y a une trentaine d’années. Rôtisseur saucier de formation, il “applique au poisson le travail des sucs, des réductions, des sauces, des cuissons et du repos réservé à la viande”. Par ailleurs, celui qui compare la Méditerranée à son potager délaisse les poissons nobles : il leur préfère les espèces mal-aimées, comme les poissons de roche, les gobies, les liches… “À mes yeux, ils sont tout aussi nobles. Ma cuisine est faite pour révéler l’intensité des chairs et le goût de chaque espèce de poisson”, glisse-t-il.
Pêche locale et raisonnée
Au fil du temps, le chef a affiné sa démarche, optant pour des coquillages bio et la pêche raisonnée avant l’heure. Ses poissons, qui “ne touchent jamais la glace”, sont pêchés entre Bandol et la Côte bleue, à la palangre, au casier, au girelier (nasse de jonc traditionnelle), tandis que certains coquillages ou les anémones de mer sont ramassés à la main. Environ soixante-dix espèces sont présentes à la carte du Petit Nice, au rythme des saisons, afin de préserver les ressources halieutiques.
Cuisiner tout le poisson, même les arêtes
Gérald Passedat décide également de travailler les poissons dans leur intégralité, pour éviter toute perte. Les mises en bouche prennent la forme de charcuteries marines : coppa de calamar, terrine de foie de baudroie, mérou maturé une dizaine de jours dans une marinade d’épices et de poivre, puis coupé en tranches très fines à la façon d’un lard de Colonnata… Les queues de dorade, épicées puis maturées, sont finement tranchées afin de donner l’illusion d’un faux jambon. “Nous utilisons des techniques de séchage, salage, fumage… La maturation permet de concentrer les saveurs. Cela nous arrange aussi de pouvoir conserver les poissons plusieurs jours dans la chambre de maturation, en cas de mistral ou de tempête”, poursuit-il.
Les arêtes, torréfiées et séchées, servent à l’élaboration de sucs, de bouillons, de vinaigres, de garum… ou même de mignardises, comme ce chocolat noir en forme de corail, pulvérisé de poudre d’arête et surmonté d’une tête de poisson rouge torréfiée. La peau est le plus souvent conservée lors de la cuisson. “C’est le gras nécessaire pour une cuisine du peu, dans laquelle on n’utilise ni beurre ni crème. Si certaines peaux ne peuvent pas être servies, par exemple celle du mulet, je les fais sécher, je les passe à l’huile de pépins de raisin, et je les travaille comme une chips”, précise le chef.
Les œufs de poisson sont intégrés dans l’aïoli, le collagène est récupéré pour les gelées des desserts... “On réfléchit par exemple à une façon de travailler les yeux de poissons, ou encore de créer une glace au calamar… Tout cela demande beaucoup d’essais, de travail, de réflexion”, ajoute le chef exécutif, Nicolas Hensinger.
Virage végétal
À l’avenir, Gérald Passedat devrait profondément faire évoluer ses assiettes : “Le poisson devient rare. On ne peut plus continuer à mettre autant de poisson dans l’assiette. On va essayer, dans les années à venir, d’inverser la tendance et qu’il devienne le condiment du végétal.” De nouvelles explorations culinaires en perspective.
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Publié par Violaine BRISSART