En 1896, l'auberge du Pèr Gras, sur le chemin de la Bastille, près de Grenoble,
n'est qu'une ferme occupée depuis le milieu du XIXe siècle par Étienne et Marie Gras. Ils y cultivent
une terre peu hospitalière : le terrain est abrupt, la maison isolée, et
le chemin qui y mène reste étroit et raide. Leur fils Hyppolyte et son épouse Marie
choisissent de se mettre aux fourneaux pour régaler la garnison du fort de
la Bastille, situé en contrebas de la ferme. Les ouvriers des cimenteries du
Mont-Blanc qui, le samedi, descendent en ville, font aussi une pause dans le
petit chalet construit devant la ferme. Les plats sont simples et déjà locaux :
on y mange des oeufs en omelettes, de la tomme fraîche, du jambon cru...
4,5 hectares de vignes
En 1934, le site de la Bastille est relié à la ville par le premier
téléphérique en site urbain de France. Idéal pour donner un nouvel élan à la
ferme auberge. Hippolyte Gras,
la troisième génération, et sa femme Marie-Louise ouvrent d'abord six
chambres et puis remplacent en 1959 le chalet par un long bâtiment blanc avec
grande salle de restaurant. Ils rachètent même en 1950 les caves du Mont-Rachais,
2 000 m2 de chais situés au pied de la colline, à La Tronche. Dès
1955, avec ses 4,5 hectares de vignes dominant Grenoble, Hippolyte Gras
produit 60 000 bouteilles de vin mousseux. Sous l'impulsion de
Marie-Louise, les mets, toujours concoctés avec des produits locaux, s'affinent.
On vient y manger sa truite au bleu, ses tomates antiboises ou son poulet
fermier sauté à l'ail et au vin blanc...
Une saga familiale
Leur fils Gérard Gras, formé au lycée Lesdiguières de Grenoble, et
son épouse Monique reprennent l'affaire dans les années 1970. Les tables
se nappent, la vaisselle se fait plus belle et le restaurant accueille
mariages, repas de gala, anniversaires, repas d'entreprise... Le couple
développe en parallèle une activité de traiteur sous l'enseigne Dauphiné
Réception.
En 1996, leur fils Laurent Gras reprend les rênes de l'affaire
familiale tout juste centenaire après, lui aussi, une formation au lycée
Lesdiguières et quelques expériences dans de grandes maisons comme l'Auberge de
l'Ill des frères Haeberlin (Illhaeusen). Rejoint par sa soeur Aline en
2005, le chef rêve d'un nouveau bâtiment accroché à la colline. Construit en
2008, le restaurant offre toujours un panorama sans égal sur la capitale des
Alpes.
Maître restaurateur depuis décembre 2009, Laurent Gras veut fêter cette
saga familiale. Deux dîners étoilés pour une cinquantaine de convives ont été
prévus : le premier a eu lieu le 7 juin avec le MOF Christian Née,
La Pyramide (2 étoiles Michelin), et
le second se tiendra le 19 septembre, avec le MOF Philippe Girardon, Domaine
de Clairefontaine (1 étoile). Le premier cep de vigne de la future Cuvée renaissance du Pèr' Gras sera planté
le 27 septembre. Le chef souhaite replanter un à deux hectares de
verdesse, chardonnay, chasselas et persan pour la production raisonnée, d'ici
2022, de vins 100 % Bastille. Mais Laurent Gras ne quittera pas les
fourneaux pour le pressoir : le vignoble sera confié à des professionnels.
Publié par Nathalie RUFFIER