“Je n’ai jamais été aussi fier qu’en 2018, quand j’ai gagné mon étoile dans mon propre établissement”, se souvient Julien Diaz. Sept ans plus tard, le chef propriétaire du restaurant marseillais Saisons tourne la page et vend son établissement en janvier dernier. “Un restaurant étoilé en fonds propres, c’est très lourd en termes de charges, d’autant que tout a augmenté. Heureusement qu’on avait un loyer raisonnable, ça nous a permis de continuer à être rentable”, glisse-t-il. Mais à quel prix… “C’est vraiment compliqué sans investisseur extérieur. Cela représente beaucoup de sacrifices. Vous ne rognez pas sur la marge, la qualité des produits et du service, mais sur votre salaire. Et quand vous êtes quatre en cuisine et que quelqu’un est absent, l’équipe est en sous-effectif. C’est usant”, poursuit-il.
Aujourd’hui, le chef savoure la légèreté d’une résidence au Rhinocéros, à Marseille : “La restauration en format pop-up, c’est la liberté d’esprit d’avoir une date de début et de fin. Tout le personnel ne dépend pas de vous. Vous avez le bon côté de la création de carte, sans le problème de savoir si vous êtes rentable”. À terme, Julien Diaz et son associé, Guillaume Bonneaud, devraient à nouveau faire parler d’eux sur la scène marseillaise avec un “bistrot qualitatif, loin du schéma étoilé”.
Vincent Favre-Félix, la fin d’un “rêve de gosse”
Après quatre années passées dans le club des étoilés, Vincent Favre-Félix rend son macaron Michelin – “un rêve de gosse” –, en mars dernier. Le mois suivant, son établissement gastronomique d’Annecy-le-Vieux se transforme en une adresse bistronomique, rebaptisée La Cour de l’abbaye par Vincent Favre-Félix. “La conjoncture est compliquée. Je suis chef d’entreprise, je dois m’adapter aux clients qui n’ont plus envie de passer trois heures à table et de manger huit ou dix assiettes, pour 200 ou 250 € par personne. Ils veulent la simplicité d’un entrée-plat-dessert et passer un bon moment”, juge-t-il.
Une tendance de fond, selon ce dernier. “Il y a trop de tables étoilées en France, leur nombre va être amené à diminuer à terme, car les enfants d’aujourd’hui n’ont pas forcément cette culture gastronomique”, estime le chef, qui ne se reconnaît d’ailleurs plus dans les valeurs actuelles du guide Michelin. “Remettre une étoile sur la base d’une émission de télé, alors qu’à côté, Georges Blanc perd une étoile, je trouve que c’est un manque de respect pour la profession”, critique-t-il.
Benjamin Delpierre, une nouvelle offre gastronomique plus flexible
À Wimereux (Pas-de-Calais), le chef propriétaire Benjamin Delpierre a entièrement repensé son offre de restauration au sein de son hôtel 4 étoiles L’Atlantic. Son restaurant La Liégeoise, étoilé depuis 2017, et sa brasserie ont fermé leurs portes fin 2024, afin de créer des chambres supplémentaires et d’accueillir un nouveau restaurant “ni gastronomique ni bistronomique” d’une centaine de couverts, ouvert en continu, du petit-déjeuner jusqu’au dîner. Cette nouvelle formule permet de mieux satisfaire la clientèle de cette station balnéaire. “Les gens préfèrent venir plusieurs fois dans un restaurant plus accessible – le pouvoir d’achat a baissé –, que d’aller une fois dans un restaurant étoilé”, observe-t-il. Le chef espère ainsi doper son chiffre d’affaires : “Ce n’est pas le restaurant étoilé qui était le plus rentable, mais économiquement, ça se tenait grâce à l’hôtel et à la brasserie.”
Ce choix simplifie aussi la gestion des plannings : “Aujourd’hui, j’ai trois équipes – une pour le midi, une pour le soir et une en repos –, ce qui permet de faire un roulement, de mettre fin à la coupure qui posait problème et d’avoir des plannings réguliers. C’est plus facile pour l’organisation”, note-t-il.
En cuisine, ce remaniement rime avec liberté. “C’est aussi un choix personnel : j’aime quand ça bouge, quand l’entreprise évolue. Le schéma étoilé, c’est très répétitif, assez millimétré. Les services se ressemblent, car on travaille beaucoup sur les menus dégustation. Maintenant, il y a des apéritifs et des entrées à partager, des produits travaillés avec la même imagination que dans un restaurant étoilé, des tea-times, des petits déjeuners ouverts aux gens de l’extérieur… Bref, on fait ce qu’on veut”, avoue Benjamin Delpierre.
Laurent Petit, ambassadeur de la Haute-Marne et coach pour étoilés
Quant à Laurent Petit, il s’est séparé de son restaurant trois étoiles Le Clos des sens à Annecy-le-Vieux (Haute-Savoie) en 2023. “J’ai obtenu mes trois étoiles en 2019. À 59 ans, j’ai transmis l’entreprise à une partie du personnel, au sommelier Thomas Lorival et au chef exécutif Franck Derouet. Les étoiles Michelin, c’est la grande chance du métier de cuisinier. Mais ça faisait quarante ans que je bossais. Je n’allais pas aller jusqu’à la mort avec mes trois étoiles”, précise-t-il.
Pas question toutefois de partir à la retraite pour cet hyperactif, qui s’est fixé un nouveau défi : faire revivre sa région natale, la Haute-Marne, et favoriser l’essor de nouveaux chefs étoilés. Il crée un premier gîte à Bussières-lès-Belmont pour que son “village de 440 habitants arrête de mourir à petit feu” et planche sur un second. Dans l’avenir, il aimerait s’associer à un couple pour faire éclore dans ce même village un café, un restaurant, une boulangerie et “aller chercher un Bib gourmand”. À Langres, il a également fondé en novembre 2024 Le Clos Vauban, un hôtel Relais & Châteaux qui a déjà décroché une étoile Michelin avec son restaurant Bulle d’osier, et un Bib gourmand avec son bistrot Mirabelle. “On a sélectionné un couple qui travaillait au Clos des sens pour ce projet, Valentin Loison et Anaïs Bercegeay. Ces deux jeunes sont associés, et dans sept ans, ils seront propriétaires de toute l’exploitation. Je veux éclairer ces jeunes de trente ans qui ont un talent de dingue”, confie ce coach pour étoilés en herbe.

Publié par Violaine BRISSART