Cinq mois après, le couple rouvre l'auberge métamorphosée, de la décoration au nappage, en passant par la carte. "Au Bon Accueil existait depuis trente-six ans et servait des plats très traditionnels : tête de veau, sole meunière... On ne voulait pas de comparaison possible, alors on est parti sur une cuisine de saison et des menus dégustation", déclare celui qui a fait ses armes auprès du chef étoilé Alexandre Gauthier (La Grenouillère, dans le Pas-de-Calais). Par exemple : Dos de cabillaud, tripes fertoises et petits pois, Mozzarella végétale et concombre mariné, Abricot confituré et faisselle poivrée… La carte est rédigée de façon minimaliste : "On énonce un plat en deux ou trois mots, mais en réalité, il y a beaucoup plus d'éléments, on joue sur l'effet de surprise."
Une surprise qui est loin de plaire à tous. La clientèle, plutôt âgée, est déboussolée. "Les gens venaient pour leur plat fétiche et pour l'ancienne patronne qui était une personnalité. Quand on leur disait que les propriétaires avaient changé, certains se levaient et partaient. Les habitants ne nous disaient pas bonjour dans la rue. Le fait de ne pas être de la région et d'être jeunes ne nous a vraiment pas aidés...", note-il avec un brin d'amertume.
Un pari réussi
Les difficultés s'enchaînent : le matériel se révèle vétuste, les moteurs des chambres froides lâchent les uns après les autres, le personnel, trop nombreux, s'avère "difficile à remodeler"... Mais les Crespin gardent le cap, et cela paie. Neuf mois après l'ouverture, ils sont récompensés par le prix Jeune Talent du Gault&Millau. Un an plus tard, ils obtiennent un Bib Gourmand du guide Michelin. "Deux années ont été nécessaires pour faire oublier les anciens propriétaires et trouver l'équilibre, qu'il s'agisse du chiffre d'affaires ou du personnel. Les récompenses et les articles ont convaincu une clientèle locale et plus jeune. Un tiers de nos clients viennent désormais de loin : Rouen, Paris... On a même créé un compte facebook, un site internet et une application pour informer de nos nouveautés", déclare-t-il.
Aujourd'hui, l'établissement tourne avec ses quatre chambres, sa salle de réception et ses 20 à 30 couverts quotidiens. "On s'interdit de passer au-dessus, sinon ce serait au détriment de la qualité", estime-t-il.
Avec le recul, le couple ne regrette en rien cette expérience : "La campagne permet d'être proche des producteurs et d'aller chercher soi-même les produits au marché. Et puis je trouve que c'est important de garder des commerces en zone rurale. Tout prend plus de temps, il faut être patient, mais il y a moins de concurrence qu'en ville. On en vit, même si on gagne moins que si on était salarié. On travaille sept jours sur sept, mais nous sommes nos propres patrons. Et ça, c'est une certaine liberté."
Publié par Violaine BRISSART