“Je suis devenu maître de cérémonie à 1 300 € par mois au rythme de trois enterrements quotidiens. Je dois parfois habiller les morts, accrocher un collier au cou d’une défunte”, cauchemarde Hugues, qui fut pourtant un extra heureux depuis 1987 avant que la pandémie de Covid-19 le plonge dans la pauvreté et l’indifférence. “On m’a refusé le RSA, car j’avais un peu d’épargne pour ma retraite. Je suis retourné chez ma mère, à 56 ans.”
“Avant la crise, les employés avaient la tête dans le guidon et ne se posaient pas vraiment de questions”, analyse Jean-Claude Cahagnet, de l’Auberge des Saints Pères à Aulnay (Seine-Saint-Denis), qui a perdu la totalité de son personnel de salle depuis la crise. “Tous mes employés sont en CDI sans coupure, alors ils reviendront aussi pour leur salaire de 2 000 à 3 000 € pour un serveur”, modère le restaurateur Xavier Denamur. “Le stress du recrutement varie selon la situation géographique, la présence ou non d’une activité hôtelière, voire d’une terrasse”, décrypte Alban Moreau, du service social de l’entreprise de conseil et d’audit Fiteco.
“La crise exacerbe des problématiques existantes”
“L’inquiétude est forte en province. Comme l’été dernier, la saison pourrait être terne dans la capitale avec même un excès de candidats alors qu’en bord de mer, les restaurateurs fermaient certains jours ou renonçaient au service continu par manque de personnel. Des gens sont arrivés dans la profession avec un autre métier. Après six mois d’inactivité, ils y sont retournés sans projet de retour en arrière”, explique Alain Fontaine, président de l’association des Maîtres restaurateurs. “Les passerelles existent, on voit bien la bascule de nos collaborateurs vers l’industrie du luxe”, relève Franck Trouet, du GNI.
“On va finir par se faire débaucher nos employés à la sortie de nos restaurants”, provoque à peine Jean-Claude Cahagnet. “Cette crise exacerbe des problématiques existantes. Les jeunes ne veulent plus de coupure et des salaires dérisoires”, clame Bernard Boutboul, du cabinet Gira, qui planche avec M6 sur un projet d’émission pour valoriser les métiers de la salle.
Les raisons de cet exode procèdent d’autres leviers. La réforme de l’Assurance chômage n’est pas le moindre. “Cette réforme plonge nos précaires dans la pauvreté et un esclavagisme, qui refuse de porter son nom, en particulier avec l’auto-entrepreneuriat de type Uber. Il faut choyer nos CDD et nos extras, car ils sont notre meilleure solution”, s’emporte Alain Fontaine. “Nous avons accompagné nos CDI avec une newsletter et la perpétuation du lien à travers l’annonce de naissances ou d’heureux évènements. Nous ne l’avons sans doute pas assez fait avec nos extras. Nous les avons perdus de vue”, regrette Karim Bouzoubaa, directeur d’exploitation du traiteur C-Gastronomie.
Pertes de compétences
“C’est une situation qui nous préoccupe. Selon une étude d’Akto (ex Fafih), nous sommes sans nouvelles de 110 000 salariés. Ils sont allés voir ailleurs, désertent la profession pour un meilleur rythme de vie ou souvent pour des raisons financières comme la perte de droits à l’assurance chômage. Nous allons affiner ces analyses auprès de nos adhérents pour mieux délimiter les métiers, les zones géographiques et les postes les plus concernés”, explique Franck Trouet.
Outre le recrutement, la perte de compétences occupe les esprits. Cyril Lignac s’en inquiétait dans le JDD : “Je redoute les séquelles de savoir-faire. Comme des sportifs, il va falloir s’échauffer, j’ai peur de la perte de rythme.” Pour Victor Mercier, du restaurant Fief (Paris, XIe), la vision est pertinente : “Ce sont les plus âgés, en recherche de vie de famille, qui désertent la profession et les jeunes manquent de compétences. Pourtant, il va falloir être bon à la reprise, car ceux qui décevront vont disparaître !”
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Publié par Francois PONT
lundi 10 mai 2021