Quelle pourrait être la gastronomie dans trente ans ?

Paris Entre capacité divinatoire et simple bon sens, il existe des pistes pour envisager l'avenir de la gastronomie dans notre pays. En 2050, le menu aura-t-il autant changé que le monde ?

Publié le 11 décembre 2014 à 10:34

Dans les années 1990, l'équipementier Hobart avait interrogé les élèves des écoles hôtelières sur la manière dont ils imaginaient l'avenir de la cuisine. Il en était ressorti des théories fumeuses alors que le passage au troisième millénaire était la source de tous les phantasmes. Aucun des participants n'avait vu venir la crise de la vache folle, l'arrivée de Tripadvisor ou l'avènement des émissions culinaires qui ont profondément changé la représentation sociale du métier de cuisinier. Il existe pourtant des probabilités sur lesquelles on peut rebondir pour envisager des hypothèses. Ainsi, en 2050, on fêtera les 125 ans de la naissance de Paul Bocuse. À cette occasion la ville de Lyon rebaptisera-t elle du nom de son bienfaiteur l'aéroport de Satolas ? En 2050, Thierry Marx aura l'âge actuel du même Paul Bocuse, 88 ans. Se sera-t il retiré sur des hauteurs himalayennes pour méditer après une brillante carrière ministérielle ? Les cuisiniers cristallisent désormais des valeurs (l'excellence, le travail, l'effort, la formation…) qui en font des leaders d'opinions capables de prendre bientôt des responsabilités.

La gastronomie sera une affaire d'élite et de santé

Sous réserve d'une de ces purges naturelles (épidémie, guerre…) que l'économiste britannique Thomas Malthus louait pour réguler la démographie, nous serons 9 milliards en 2050. Dans ces conditions, pas sûr que la table soit assez grande et que la pitance soit la même pour tous. À cela s'ajoutera le réchauffement climatique, une réalité qui pèsera de plus en plus sur les récoltes. Sur ces évidences, inconsciemment ou pas, les chefs ont d'abord murmuré à l'oreille des scientifiques, à l'image de Pierre Gagnaire : "Ce sont les applications de la gastronomie moléculaire qui aideront à combattre la faim dans le monde. On ne nourrira pas la planète avec du turbot 'petit bateau' et des légumes du jardin", estime le chef triplement étoilé. Et le jardin justement, parlons-en. La crise aurait redonné le chemin du potager à un Français sur quatre. Une tendance qui va se manifester crescendo dans le garde-manger des étoilés. Face aux incertitudes d'une agriculture basée sur les rendements, l'explosion du prix des bons produits et dans le sillon des bottes terreuses d'Alain Passard, les chefs s'éloignent des éprouvettes pour se rapprocher de l'humus et contrôler leur approvisionnement. Alain Ducasse partage la bêche d'Alain Baraton, le maître des jardins de Versailles. Le chef francilien et locavore Yannick Alléno cultive l'asperge d'Argenteuil avec Antoine Berthelin, le jardinier du château de Courances, Marc Veyrat ne rate pas une occasion d'évoquer les oeufs "sans numéro" de sa ferme de Manigot… L'intuition nourricière des étoilés devra aussi envisager le problème de l'eau, "l'enjeu majeur du métier dans trente ans", selon Thierry Marx. Alors en 2050, y aura-t il un puits à côté des chambres froides ? En 2050, l'Organisation mondiale de la santé estime que la moitié de la population mondiale sera concernée par une maladie allergique. Chaque maître d'hôtel devra porter dans la poche intérieure de son smoking un stylo-injecteur d'adrénaline pour piquer un client en plein choc anaphylactique. La santé sera au centre de la gastronomie de demain.

Des pizzas livrées par des drones

Au même titre que la peinture, la gastronomie française nécessite une initiation : "La technique, c'est ce qui permet à un cuisinier de durer", assure Pierre Gagnaire. Les bases classiques resteront le socle d'une profession parcourue de frissons. Des modes vivifiantes et éphémères entretenues par les générations 'zapping' X et Y propres à s'enflammer aussi vite qu'elles se lassent pour un burger de viande 'in vitro', une crêpe à base de farine de sauterelles ou le mot 'food' décliné à toutes les sauces : raw, street, slow et même porn.

La street food, parlons-en. Elle bénéficiera de la crise et du réchauffement climatique étant entendu que la cuisine de rue ne se pratique pas de la même manière en Californie qu'en Sibérie. La fin de la dislocation de la famille aura définitivement morcelé les temps de repas, favorisant les grignotages à toute heure et la livraison à domicile. Un mode de restauration sécurisée puisque les drones remplaceront les mobylettes à top-caisse. La grande cuisine française sera enseignée en 2050 par des chefs japonais ou scandinaves (des 'cheffes' sans doute, tant la place des femmes en cuisine va bouleverser le monde des étoilés) sur le précepte du chef chinois Dong Zhenxiang : "La grande tradition française, améliorée par les dernières innovations, à laquelle on incorpore des techniques et des nouveautés venues d'ailleurs."


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Publié par Francois PONT



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