Pêche durable : comment les chefs s’adaptent face à la raréfaction des ressources marines

À l’heure où les ressources marines s’amenuisent et où les prix flambent, la restauration revoit ses pratiques et replace la saisonnalité et la traçabilité des produits au cœur de l’assiette. Entre choix des espèces, respect des périodes de reproduction et valorisation des produits, les professionnels repensent leur approche pour conjuguer qualité et durabilité.

Publié le 03 septembre 2024 à 11:00

Restauratrice depuis 35 ans, la cheffe Nathalie Beauvais dirige avec son compagnon Arnaud, Le Jardin gourmand et ses 40 couverts, à Lorient (Morbihan). Elle collabore depuis ses débuts avec la pêche artisanale lorientaise. “En 35 ans, les apports de poissons ont diminué tandis que les prix ont grimpé. Certaines espèces, comme le bar et le turbot, sont devenus trop chères : j’ai décidé d’arrêter de les travailler”, explique-t-elle. Les langoustines aussi ne figurent plus à l’année sur la carte. Nathalie Beauvais ne les propose uniquement lorsque la saison est adaptée. Pour s’assurer d’obtenir les meilleurs prix tout en respectant la ressource, la restauratrice fait confiance aux pêcheurs et aux mareyeurs qu’elle côtoie. “Les pêcheurs sont des sentinelles”, résume-t-elle.

Pour les chefs qui ne sont pas au plus proche de la mer, Nathalie Beauvais conseille de scrupuleusement suivre la traçabilité des produits : une simple étiquette atteste de la manière dont le poisson a été capturé (à la ligne ou au filet). Certaines espèces, à l’instar du bar et de la daurade royale, connaissent une pêche trop intense et leurs stocks sont soumis à rude épreuve. En conséquence, les prix ont explosé. “Le prix du bar dépasse le seuil auquel je peux gagner ma vie, comme pour la daurade, c’est plus de 20 € le kilo”, déplore-t-elle.

Pour s’adapter aux fluctuations des prix et des arrivages, la cheffe a opté pour une carte évolutive. Tous les matins, elle rend visite à son mareyeur et choisit naturellement le meilleur rapport qualité prix. “Cela correspond toujours au poisson de saison. Par exemple, le rouget affiche actuellement un prix correct en dessous des 15 € le kilo”, illustre la restauratrice.

De la noblesse du poisson

La notion de poisson noble a la peau dure, mais il apparaît aujourd’hui essentiel de relativiser cette notion si l’on souhaite maintenir une marge acceptable. Au Jardin gourmand, on trouve un menu entrée + plat + dessert à 50 €. Pour que ce dernier soit rentable, il convient de choisir avec beaucoup d’attention la pêche qui sera proposée dans l’assiette.

En la matière, Nathalie Beauvais ne manque pas de ressource : merluchon (6 € le kilo) à l’andouille de Guémené, lotte (15 € le kilo) ou encore thon patudo (14,50 le kilo en longe). La restauratrice oriente aussi ses achats vers le chinchard et parfois le tacaud, qui souffre encore d’une mauvaise image en Bretagne : “Il convient donc d’expliquer aux clients tout le travail que l’on trouve autour du poisson car il n’y a pas que le coût matière.” Selon elle, la clientèle est devenue alerte sur les notions de surpêche et de saisonnalité. “Les consommateurs sont ouverts sur la question, ils acceptent plus facilement que l’on mette “n avant des espèces ‘oubliées’.”

Patrick Pignol, qui dirige avec son fils Adrien L’Angelus (Paris XVIIe), tire la sonnette d’alarme. “Il n’y a plus de poissons dans la mer”, tranche-t-il. Le restaurateur en veut pour preuve la multiplication du poisson d’élevage chez les mareyeurs et grossistes, y compris dans le temple des produits frais que constitue le marché de Rungis. Turbot, truite, saumon ou encore daurade… L’élevage s’est développé au point d’inonder le marché de produits qui viennent concurrencer le poisson sauvage.

Il plaide lui aussi en faveur du marché et donc de la saisonnalité : “Nous allons régulièrement à Rungis, cela veut dit que l’on s’adapte au marché. Si le cabillaud affiche 13 € le kilo, nous choisissons autre chose. Il ne faut pas travailler avec une carte fixe mais au contraire s’adapter toutes les semaines.” Il prône le retour à des espèces délaissées et dont les stocks ne sont pas menacés, comme celles issues de la famille des rascasses. Quant au homard, il faut en manger “en été et non à Noël”, comme “le cabillaud skrei que l’on pêche à la ligne deux mois seulement pendant l’hiver”. 

Valoriser la matière première

“En moyenne, le poisson représente 50 % de déchets”, constate Patrick Pignol. Ce dernier recommande d’acheter le produit brut et de lever les filets dans les cuisines du restaurant : “Vous achetez un produit à 10 € qui revient à 20 € une fois transformé. Vous comptez ensuite 200 gr par personne environ ; cela représente déjà 4 à 5 € de coût matière pour une seule assiette.” Les espèces dites nobles, à l’instar du bar de ligne, apparaissent de plus en plus complexe à valoriser. Le chef propriétaire de L’Angelus en veut pour preuve ces spécimens de 4 à 5 kilos, commercialisés 40 € le kilo en moyenne sur la place rungissoise. “Une fois le poisson préparé, cela revient à un coût matière de 14 € par assiette”, calcule-t-il. 

Le chef François Pasteau, administrateur d’Ethic Ocean, estime quant à lui que les restaurateurs ont besoin d’être accompagnés pour “pouvoir prêcher la bonne parole aux clients” qui eux aussi ont « tendance à être perdus”. Selon lui, de plus en plus de chefs seraient sensibles à ces questions et rejoignent Ethic Ocean. Une fois qu’ils s’enrôlent dans l’organisation, ils s’engagent à n’utiliser que des poissons issus de la pêche durable, c’est-à-dire des poissons dont les stocks sont suffisamment importants pour ne pas mettre en danger l’espèce. “Les restaurateurs se sentent de plus en plus concernés par l’environnement. Ils ont compris que ce magnifique garde-manger qu’est l’océan, si l’on n’en prend pas soin, il ne perdurera pas”, explique François Pasteau.

Respecter le produit, c’est interroger ses fournisseurs sur son origine et ses conditions de pêche, éviter le gaspillage, et le payer au juste prix. “En tant que restaurateur, il faut se poser les bonnes questions et être proche du pêcheur. À Paris, on peut être proche de l’intermédiaire. Celui-ci est en mesure de nous répondre, à nous de lui poser les bonnes questions”, conclut le restaurateur.


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Publié par Mickaël ROLLAND



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