Sur le papier, tout était calé, financé, programmé. Le déménagement ne devait être qu’une étape. Rien de plus. Après vingt ans de complicité rue Beethoven à Paris (XVIe), le chef étoilé Pascal Barbot et le directeur de salle Christophe Rohat devaient exporter leur restaurant, L’Astrance, rue de Longchamp (XVIe), à la place de l’ancien Jamin de Joël Robuchon. Mais c’était sans compter la crise sanitaire. Débutés en janvier 2020, “après trois mois de curage et un mois de désamiantage”, les travaux à la nouvelle adresse ont été stoppés dès le premier confinement. “Par respect pour la copropriété”, confie Pascal Barbot. La reprise du chantier n’a eu lieu qu’en septembre, en misant sur une livraison du restaurant courant janvier 2021. Echéance à laquelle le chef étoilé comptait alors ajouter un mois de “mise en route”, élaboration d’une carte, formation des équipes. Et ce d’autant que celles-ci sont déjà passées de treize salariés à près d’une trentaine, car L’Astrance ‘tome 2’ ne comptera plus huit tables, mais une vingtaine. Normal : l’ancien Jamin offre une superficie de 380 m2 contre 120 m2 rue Beethoven. Mais les projets et projections de la fin d’été sont tombés à l’eau avec le confinement de l’automne dernier. À cela s’ajoute la vente du fonds de commerce et des bureaux de la rue Beethoven qui n’a pu se faire qu’en septembre dernier. “On a payé cinq loyers en même temps, pendant un an”, explique Pascal Barbot. Cinq, à savoir les deux restaurants, les deux bureaux attenants et une cave. Bref, la note est salée avec des rentrées d’argent égales à zéro depuis l’hiver 2019-2020, période à laquelle L’Astrance ‘tome 1’ a fermé ses portes.
“L’Astrance, rue de Longchamp, c’est le projet d’une vie”
“On en est à notre deuxième PGE”. Christophe Rohat tient les comptes à jour, ainsi que les rendez-vous à la banque et chez l’avocat. Dossier de perte d’exploitation, report de remboursement des prêts, supplément de crédit : ils ont tout obtenu. Côté salaires, les équipes sont au chômage partiel. Mais, en tant que gérants, le duo Barbot-Rohat ne touche rien depuis près d’un an. “Heureusement, on avait un peu d’économies”, détaille le directeur de salle. Mais celles-ci fondent comme neige au soleil. “L’Astrance, rue de Longchamp, c’est le projet d’une vie”, reprend le chef étoilé. Un projet dont l’investissement est estimé entre 4 et 5 millions d’euros. “Il y a des nuits où l’on ne dort pas beaucoup”, reconnaît Pascal Barbot, impatient de retrouver ses fourneaux. À l’instar de ses équipes d’ailleurs. Des équipes soudées. Même avec les nouveaux arrivés et même pendant cette période de fermeture, qui joue les prolongations. “Tous nous ont aidés à déménager. Ils ont rencontré nos producteurs. Les sommeliers et l’équipe en salle ont fait les vendanges. Tous les quinze jours, quelques-uns viennent voir l’avancement du chantier”, détaille Pascal Barbot. De son côté, Christophe Rohat a conçu la carte des vins avec le chef sommelier. Ensemble, ils ont également réalisé l’inventaire de la cave, qui compte quelque 20 000 bouteilles. Quant aux réseaux sociaux, depuis un an, ils permettent de garder un lien à la fois avec les salariés et avec les clients, en montrant les coulisses de L’Astrance en travaux.
“Dans les cinq années qui viennent, il n’y aura pas de place pour la routine”
“L’un des aspects les plus négatifs de cette période, ce sont nos producteurs et nos fournisseurs qui ne nous livrent plus”, s’inquiète aussi Pascal Barbot. Il vise ici les maraîchers, vignerons, éleveurs, fabricants de porcelaine ou de linge de maison… ceux qui font contenus et contenants d’une recette, d’une table, d’un art de recevoir. Des savoir-faire que le chef étoilé espère voir perdurer au-delà de la crise sanitaire. “Dans le contexte actuel, quid de la transmission ?”, s’interroge-t-il. Quand on lui demande comment il voit l’avenir, Pascal Barbot se dit toutefois “optimiste” : “Dans les cinq années qui viennent, il n’y aura pas de place pour la routine. Il va falloir être malin, audacieux et courageux. Il va falloir se bouger et repenser nos façons de fonctionner.” Il n’exclut pas la vente à emporter et surtout évoque la mise en place de marchés de producteurs, “car ils doivent être soutenus”. “On doit regarder dans toutes les directions”, conclut Pascal Barbot, qui n’a qu’une hâte : “Retourner en cuisine et retrouver nos clients.” L’Astrance ‘tome 2’ devrait être prêt à ouvrir ses portes le mois prochain.
Publié par Anne EVEILLARD