Situé place de la Bourse à Bordeaux, Le Gabriel occupe une majestueuse bâtisse du XVIIIe siècle. L’établissement, acquis en 2019 par la famille de Boüard de Laforest (Château Angélus), propose un bar intimiste, un bistrot terroir – Le 1544 – et, à son sommet, L’Observatoire, restaurant gastronomique auréolé de deux étoiles Michelin en 2025.
“On s’était fixé cet objectif avec Stéphanie de Boüard. Aussi rapidement, c’est inespéré”, confie Bertrand Noeureuil, chef toulousain à la tête des cuisines, arrivé un an à peine avant l’obtention de cette deuxième étoile. “Maintenant il faut être à la hauteur”, gage-t-il. Cette distinction confirme la vivacité de la scène bordelaise (Maison nouvelle, de Philippe Etchebest vient également de recevoir une deuxième étoile). La nouvelle génération de chefs ambitionne de conjuguer excellence et identité locale.
“Rendre hommage à l'Aquitaine”
Bertrand Noeureuil revendique une cuisine “complexe et instinctive”, nourrie des paysages et des saisons, avec une identité du Sud-Ouest forte. “On est face à la Garonne, dans une maison néoclassique. Je veux rendre hommage à ce cadre et à l’Aquitaine. L’hiver, on propose des choses plus riches ; au printemps, plus minérales ; l’été, on joue le feu, le barbecue, les crudités…” Les sauces, élément central de son style, évoluent elles aussi en fonction de la saison, du coulis de pois au jus de rôti, en passant par des sauces vierges aux herbes. “Le produit que j’aime travailler c’est celui de la saison”, confie le chef. Parmi ses ingrédients fétiches du Sud-Ouest, l’alose – poisson d’eau douce emblématique – tient une place de choix, tout comme l’asperge, le merlu, l’escargot ou le rouget vendangeur.
La dégustation se décline en deux temps. Le menu Complice, en quatre services, se construit avec le client, guidé par la salle. Le menu Songe, plus immersif, déroule une véritable narration culinaire. Entre pièces végétales, poisson, viande et moment de chabrot – fond de soupe ou de potage dans lequel on dilue du vin rouge, selon une coutume paysanne du Sud de la France – partagé dans la cuisine du chef, les convives sont invités à vivre une expérience complète, prolongée par un prédessert centré sur la vigne, puis un dessert.
Un binôme d’excellence
L’exigence du chef s’est façonnée aux côtés de deux personnalités de la gastronomie française. “De Yannick Alléno, j’ai appris la rigueur, la technique, le management. D’Arnaud Donckele, le goût, l’instinct, l’acidité.” Deux maîtres qui lui ont transmis une culture de la sauce que Bertrand Noeureuil a faite sienne, influencée par le feu, l’herbe, le bois.
En salle, le chef peut compter sur Elsa Jeanvoine, Meilleure ouvrière de France 2023. “On est en binôme. Elle traduit ma cuisine, elle en simplifie le discours pour mieux le transmettre.” Le lien entre cuisine et salle s’exprime jusque dans les finitions apportées devant le client : flambages, sauçages, gestes qui prolongent le travail du chef.
Pour la suite, le défi est clair : renforcer les liens avec les producteurs de la région, affirmer une signature visuelle dans les arts de la table et pousser plus loin le style de la maison. À l’été, 80 % des cuissons seront réalisées au feu de bois. Une nouvelle étape pour cette table ambitieuse qui, à Bordeaux, entend bien jouer dans la cour des très grands.

Publié par Romy CARRERE