Vincent Fournier, directeur de Mama Shelter Paris West, a décidé de profiter du confinement pour passer à l’acte. Contacté par Akto et l’association Refugee Food, il a accepté d’accueillir des réfugiés en stage pour plusieurs mois, et en a embauché cinq depuis lors au poste de commis. “On ne prend jamais le temps pour ce genre de chose, car on pense que c’est compliqué. Mais en réalité, c’est un projet clé en main, facile à mettre en place”, confie-t-il, conquis par “cette expérience géniale”. D’autres acteurs, comme le Groupe Bertrand ou les brasseries du groupe Nouvelle Garde, ont suivi ce même programme baptisé Sésame.
Mais nombreux sont encore les employeurs qui n’osent pas recruter une personne réfugiée, par méconnaissance du statut ou préjugé. Selon la définition de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), le terme de réfugié s’applique à “toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, [qui] se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays”. Dès lors que l’Ofpra accorde ce statut, la personne réfugiée possède les mêmes droits qu'un citoyen Français, à l'exception du droit de vote. Tout réfugié est donc migrant, mais tout migrant n'est pas réfugié. “Pour embaucher un réfugié, aucune démarche administrative supplémentaire ou compliquée n’est nécessaire. Il suffit juste de vérifier les dates de validité du titre de séjour et d’envoyer le titre à la préfecture pour vérification”, note Valentine Pia, responsable de la coordination et de l’insertion professionnelle pour Refugee Food.
Des CV peu représentatifs
Pour approcher ces candidats, le meilleur moyen est de diffuser vos offres auprès d’associations d’accompagnement et d’insertion professionnelle des réfugiés - fiches de postes détaillées à l’appui, afin de faciliter la compréhension des emplois proposés. Akto pilote ainsi différents programmes visant à l’insertion professionnelle des réfugiés, comme Hope, Ankrage et Sésame*. Des structures spécialisées comme Refugee Food, L’école des Cuistots migrateurs ou Action Emploi Réfugiés pourront être d’un grand secours, tout comme les syndicats professionnels (Umih, GNI). “Les employeurs peuvent aussi se tourner vers différents acteurs publics : les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités [DREETS] en métropole, ou la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités [DRIEETS] en Île-de-France, ainsi que Pôle emploi. Coallia, Aurore, Forum Réfugiés et France Terre d'Asile figurent, quant à eux, parmi les acteurs qui gèrent des centres d’accueil”, détaille Valentine Pia.
Lors de l’entretien d’embauche, “il est préférable de rencontrer les candidats en présentiel, plutôt qu’en visio ou par téléphone”, recommande-t-elle. “Il faut être bienveillant par rapport au niveau de langue, souligne Anne Couvert, chargée de projets pour la Direction régionale en Ile-de-France d’Akto. Posez des questions précises et simples, mais ne demandez pas au candidat de se présenter de manière globale ou de parler d’elle et de son parcours de vie : cela peut provoquer des blocages. Ne jugez pas sur le CV qui n’est pas souvent représentatif.” Le recruteur doit également être clair sur les conditions d’embauche. “Il faut expliquer la différence entre CDI et CDD, entre salaires nets et bruts, les règles de la période d’essai, de manière simple. N’hésitez pas à mettre ces informations par écrit, pour que le candidat puisse se faire expliquer tout ça, après coup. Souvent, les bénéficiaires d’une protection internationale peuvent habiter loin : il faut aussi vérifier que le lieu d’hébergement et les horaires de transport sont compatibles avec les horaires de travail. Enfin, faites visiter l’établissement et présentez l’équipe : ça peut rassurer”, poursuit Anne Couvert.
Bienveillance et ouverture d’esprit au menu
Bienveillance, patience et tolérance sont les clés d’une embauche durable. Pour ce faire, il faut sensibiliser ses équipes et nommer un tuteur qui accompagnera le salarié réfugié dans les premiers temps. Il faut parler en français, expliquer et reformuler avec des mots simples, faire des points réguliers (notamment après le coup de feu), encourager le salarié à prendre des notes… Les règles et usages de l’entreprise présentés à l’oral (horaires, tenue vestimentaire, consignes d’hygiène et de sécurité, tâches à effectuer…) pourront être retranscris sur un livret. “Il faut bien expliquer les codes culturels. Par exemple : regarder quelqu’un dans les yeux quand on lui parle, donner une poignée de main, utiliser le vouvoiement, connaître la place de la fourchette…”, glisse Nedjma Kenadil, adjointe à la directrice de l'Intégration pour France Terre d’Asile. Par ailleurs, l’établissement peut encourager les moments de convivialité en dehors des services, et proposer au salarié réfugié de montrer son savoir-faire. “L’Amour et la Folie, dans le XVIIe à Paris, a embauché un réfugié tibétain. Le restaurant a ajouté des raviolis tibétains - les momos - à sa carte, en les revisitant au canard et gingembre. Cela valorise la personne, et cela crée une cohésion d’équipe”, observe Anne Couvert.
“Il y a des difficultés de langage ou de compréhension de prime abord, mais finalement, sur le terrain, ça se passe bien. Il faut dire que dans nos équipes, c’est un melting pot incroyable, avec une vingtaine de nationalités parmi nos 140 employés. Nos salariés réfugiés sont des bosseurs qui ont une détermination plus forte qu’une personne lambda. C’est gratifiant de voir ces gens progresser, s’intégrer, obtenir un appartement… Par nos métiers, on peut transmettre un savoir-faire et permettre à des personnes de rebondir. La leçon que je retiens, c’est qu’il ne faut pas hésiter à embaucher un réfugié et se lancer !”, conclut Vincent Fournier.
* Les programmes Sésame (déployés en Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Bretagne) et Ankrage (en Bretagne) prendront fin en 2023. D’autres programmes seront lancés d’ici quelques mois.
embauche #réfugié# recrutement
Publié par Violaine BRISSART