Directeur du Cinq, le restaurant triplement étoilé du
chef Christian Le Squer à l'hôtel
George V, Éric Beaumard est un homme
affable qui irradie de bons sentiments et de joie de vivre. Un sentiment encore
plus admirable lorsqu'il évoque cette journée de mars 1982, où dans sa
vingtième année, il est renversé par une voiture, rue de Paris, à Rennes
(Ille-et-Vilaine). "C'était une demoiselle, elle sortait de
boîte. Elle était ivre. Elle a été condamnée. Avec le pretium doloris, j'ai acheté
du vin", tente de dédramatiser avec un sourire mélancolique et sans
haine celui qui rêvait de devenir un grand chef. "J'ai eu l'aorte brisée, les
médecins ont retiré une veine de la jambe pour me la greffer dans le cou. L'opération
a duré 18 heures. La suite a été douloureuse, j'avais perdu ma mère d'un cancer
quatre mois auparavant. Pourtant, c'est pendant ma rééducation que j'ai
rencontré ma femme, elle-même accidentée", se souvient le natif de
Fougères (Ille-et-Vilaine), dont le retour à la vie professionnelle va être
compliqué.
"Je me suis formé seul"
"J'avais perdu l'usage d'un bras et la sensibilité. J'ai
tenté de fabriquer une planche ergonomique pour continuer la cuisine. Elle
avait même des clous pour tenir les volailles. Olivier Roellinger m'a offert un contrat de six mois en
cuisine, puis il m'a convaincu de m'orienter vers la sommellerie. En 1984, le
directeur de salle du Régence, au Plaza Athénée, ne m'embauche pas au service
des vins à cause de mon handicap." Ironie
du sort, les deux hommes se retrouvent en 1999. "C'est moi qui l'ai recruté
au George V. Je me suis formé seul en achetant mon vin pour passer les
concours, celui de meilleur sommelier de Bretagne par exemple en 1985 où j'ai
passionné le jury en racontant le chambertin à travers la vie de Napoléon Ier", s'amuse celui qui
deviendra meilleur sommelier de France (1992), d'Europe (1994) puis
vice-champion du monde en 1998.
Un an plus tard, il quitte La Poularde de Montrond-les-Bains (Loire) où Gilles Etéocles lui avait donné sa chance quatorze années auparavant : "Il a appris mon départ dans le journal Le Progrès. Ça a été compliqué. Je suis issu d'un milieu agricole, mon père était inséminateur. Dans la Loire, j'ai retrouvé ce bon sens des gens simples, la générosité de ceux qui ne tournent pas autour du pot. À La Poularde, j'ai acquis une aisance malgré mon handicap", explique Éric Beaumard qui conserve une maison dans la plaine stéphanoise.
"En 1999, le George V m'a
recruté pour du consulting, mais ils m'ont vite confié la direction du
restaurant Le Cinq. J'ai acheté jusqu'à 7 000 bouteilles en un mois.
Aujourd'hui, il faut vendre au verre, faire des accords mets et vins, car si l'offre
des palaces est belle, la concurrence est rude. À chaque établissement qui
ouvre, nous perdons 4 à 5 % de chiffre d'affaires", constate-t-il.
Enfin, l'homme regrette que les lauréats des concours de sommeliers
disparaissent des restaurants, "car il y a beaucoup d'argent à faire dans le
vin loin des contraintes du service en salle".
Publié par Francois PONT
jeudi 30 juin 2016