La gastronomie française est de plus en plus soumise à la concurrence de celles de pays étrangers qui montent en puissance depuis une vingtaine d’années : on observe l’éclosion d’un nombre croissant de restaurants de qualité en Europe, en Amérique latine, aux États-Unis et au Japon. Des chefs étrangers très créatifs qui se sentent libres de tout héritage témoignent d’une adaptation aux attentes des nouvelles générations plus rapide et ne considèrent plus le passage par la France comme une étape incontournable. Or la gastronomie constitue des critères de choix des destinations gastronomiques pour un nombre croissant de voyageurs, alors qu’elle est une locomotive pour l’agriculture, l’industrie agroalimentaire et la production artisanale.
Les évolutions sociologiques (déstructuration du repas en tant que rite social, réduction du temps à table, voire disparition du repas à table) sont contemporaines de la troisième révolution de la gastronomie française, avec Internet : évaluation, photos, notion même de restaurant qui évolue (chefs volants, pop-up, livraison, restaurants clandestins, pixelisation, restaurants qui se veulent instagramables). S’y ajoutent les succès de l’industrie du plat en kit, la concentration dans le secteur de la restauration (groupes propriétaires de mille restaurants), la concurrence de nouvelles formes de restauration (fast-food, snacking, offres hybrides, supérettes installant des tables…).
La technologie rentre en cuisine (automatisation de la préparation et robotisation du service, intelligence artificielle, 5G, simulation haptique, enrichissement sonique des aliments) : l’impact pour la gastronomie française ne peut encore être mesuré, mais ne sera pas neutre.
Face à ces concurrences et ces menaces nouvelles, le renouvellement et l’innovation s’organisent : initiatives des professionnels (bistronomie, mise en avant des provinces, diversification de la formation), des technologies se mettent au service de la cuisine dans une optique de transition alimentaire (Ag tech, Food science, Food service), mais parfois avec des motivations moins positives (viandes produites artificiellement).
Les interrogations portent aussi sur l’impact de certains nouvelles approches (cuisine moléculaire, cuisine note à note, food pairing, destructuration) et des projets en cours (cuisines connectées, assistées par ordinateur…).
Les tensions environnementales, sociales et sanitaires témoignent du fait que la transition alimentaire, la justice alimentaire et l’éducation alimentaire sont intimement liés et appellent une approche globale. Cela conduit les auteurs à imaginer une stratégie nationale alimentaire sur la base d’un livre blanc reflétant un consensus national, dans le cadre d’un dialogue avec nos partenaires européens… en rappelant que la France est le pays le mieux placé est le plus légitime pour prendre une telle initiative (démonstration qui découle aussi du survol historique et culturel opéré dans leur précédent livre, Passion gastronomique, préfacé par Bernard Pacaud, chef*** de l’Ambroisie, publié en 2018).
Christine et Patrice Van Ackere, Menaces sur la gastronomie française. Comprendre ce qui va changer,
Préface de Pascal Ory, Paris,
Editions Balland, 2020, prix : 25 euros.