L'Hôtellerie Restauration : À tout juste 30 ans, vous avez atteint votre objectif de devenir directeur de salle. Arrivé à l'hôtel Le Meurice en 2005, quelle a été votre philosophie de travail ?
Wilfried Morandini : Le chef des cuisines Yannick Alléno est arrivé un an et demi avant moi dans l'établissement parisien. Je ne le connaissais pas, ni sa cuisine d'ailleurs. Et j'ai de suite accroché ! Côté salle, j'ai pris les choses en main : toute la brigade a été refaite. J'ai aussi pris le soin d'insuffler un nouveau rythme : une approche soignée du client en salle, et avoir des connaissances solides sur les produits. De plus, en 2005, le restaurant avait deux étoiles au guide Michelin ; [notre] objectif était d'obtenir la troisième ! Au fil de ma carrière, j'ai eu la chance de travailler uniquement pour des restaurants étoilés (voir son parcours ci-dessous) : la technicité du louis XV à Monaco et la chaleur du Georges V à Paris, voilà ma ligne de conduite. Je veux dégager une ambiance 'familiale chic' en salle, de l'arrivée du client jusqu'à son départ.
Puis, en mai 2010, Franka Holtmann, directeur général de l'Hôtel Le Meurice, m'a proposé d'être directeur adjoint de la restauration. C'est un poste administratif : on quitte, en quelque sorte, l'opérationnel. Mon quotidien ? je devais donner mon expertise à l'ensemble des points de vente de l'établissement, tout en supervisant les personnes qui y travaillent (100 au total). On assiste aussi aux réunions avec les chefs de service (6) le matin ; puis au briefing restauration à 11h30. Pour être garant, il faut montrer aux équipes, sinon elles adhérent moins. Lors du service, je salue les gens, créé du relationnel, me promène dans les différents points de vente (en général, pour faire mes audits). C'est à ce moment que je challenge mes équipes : je les teste (sans les prévenir, bien sûr) sur leurs connaissances et la carte pour voir de quoi ils sont capables. Si un client pose une question, on a pas le droit à l'erreur ! Viennent après la technicité et la rapidité. L'après-midi, retour au bureau, et place aux plannings, accords de budget, food-cost (création de fiches techniques, etc) et tout le travail de suivi. Puis, je termine ma journée après avoir accueilli la clientèle du diner.
Votre meilleur souvenir en salle ?
Sans hésitation, l'obtention de la troisième étoile Michelin en 2007. Toute l'équipe du Meurice a travaillé dur pour la décrocher. C'est finalement le fruit de nos efforts, notamment grâce à une certaine symbiose entre la salle et la cuisine. Pas toujours facile, j'ai une femme et deux enfants, et il m'a fallu dépenser beaucoup d'énergie dans ce défi. Une satisfaction personnelle… et professionnelle.
À partir du 1er août, une page se tourne pour vous. Parlez-nous de ce nouveau challenge ?
Pierre Dupuy, propriétaire de Dubern, une institution bordelaise créée en 1869, m'a proposé le poste de directeur d'exploitation (soit gérer l'établissement). J'ai accepté d'office : c'est un nouveau challenge pour moi puisqu'après cinq mois de fermeture, tout est refait à neuf. Je vais donc mettre en place ma méthodologie de travail et former les équipes. La brasserie de 60 couverts a ouvert le 5 juin dernier : on espère le Bib gourmand. Le restaurant gastronomique (6 tables / 20 couverts) ouvrira en septembre : je travaille actuellement sur la décoration, les arts de la table, etc. On veut pouvoir 's'amuser'. Avec le chef écossais, Daniel Gallagher, on vise l'étoile Michelin. Il y a aussi deux salons pouvant accueillir jusqu'à 30 personnes. Egalement, nous allons ouvrir une cave prestige en décembre. Le concept n'est pas encore défini, on y travaille. Je souhaite moderniser mais pas révolutionner Dubern. Je dois réfléchir : Bordeaux, c'est le vin, la verdure, etc. Je dois m'immerger dans les traditions et la vie Bordelaise pour être intelligent dans mon approche. Je suis entier et je voulais quelque chose à taille humaine. Pouvoir s'appeler par les prénoms et avoir une véritable réflexion collective. C'est un nouveau défi qui s'offre à moi.
Si vous pouviez donner un conseil à un jeune ?
Ecoutez l'expérience des personnes qui nous entourent ! Il faut absolument s'instruire, se renseigner, creuser les informations, et s'intéresser à l'univers de la profession. Ne surtout pas rester dans le 'vague', ni se reposer sur ses 'lauriers'. Il faut prendre du plaisir et faire perdurer sa passion pour le métier. Quand on est jeune, il faut taper 'dedans' !
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Son parcours
Fils de boucher-charcutier, Wilfried Morandini est né en 1975 à Saumur (49). Dès son jeune âge, il suit ses parents à Moncontour (Vienne) pour leur nouvelle activité avec service traiteur : « j'ai été initié très vite au service par des femmes de campagne. Prendre une pince et servir au torpilleur : c'était mon quotidien ! J'aimais ce contact avec les clients » se souvient-il. À 15 ans, le jeune homme rentre à l'école hôtelière de Poitiers (86) pour un Bep service en salle. Là, il fait la rencontre de Serge Cousin, son professeur de restaurant qui lui inculque la passion du métier, et qui lui décroche un premier stage à La tour d'Argent à Paris. « Je me suis pris une claque : la capitale, des gens en queue de pie… je n'étais pas habitué à ça ! Et il y avait trop de pression ». Deuxième stage : commis au Belem à St Martin-de-Ré (17). Fin des études, à 17 ans, malgré un mauvais souvenir au restaurant triplement étoilé, il décide d'y retourner et apprend durant 16 mois aux côtés du directeur de salle Richard Durr. Son rêve de gamin ? rejoindre le Ritz. Il rempile pour 16 mois à L'Espadon (deux étoiles Michelin) auprès de Charles Schott, alors directeur de la restauration. Pugnace et déterminé, Wilfried écoute toujours les précieux conseils de son professeur : « t'es jeune, fais des bonnes maisons et pars en Angleterre ! ». Il rejoint donc l'établissement triple étoilé Hyde Park Hotel à Londres. « En 14 mois, je me suis fais viré 7 fois. Le chef Marco Pierre White était très excentrique » tempère t-il. En 1995, obligation de faire un an d'armée à Poitiers ; pour repartir au Manoir des quatre saisons à Oxford (deux étoiles Michelin), cette fois en tant que chef de rang. De retour en France, il atterrit chez les frères Raimbault à L'Oasis ** à Mandelieu la Napoule (06) pour « maitriser la découpe des poissons ». Six mois après, il débarque au Louis XV d'Alain Ducasse *** à Monaco comme demi-chef de rang. « Grosse claque ! C'est la 2e école : le service est très structuré avec beaucoup de technicités à acquérir (chariots de pains, beurres, sorbets…). Avec 4 tables, j'étais dans le 'jus' ». Dans les deux ans, il est promu chef de rang ; puis, trois après, assistant maitre d'hôtel par Alain Ducasse en personne. À 28 ans, il se voit assistant de direction – soit maitre d'hôtel pour le restaurant Le Cinq ** du Georges V à Paris. « Là, c'est différent, le service est rapide et l'attention est plus portée sur le relationnel avec le client. Eric Baumard avait une devise : faire voyager les convives ». Un an suit, et il rejoint le chef Eric Frechon au Bristol, deux étoiles Michelin à l'époque, en qualité de maitre d'hôtel. A partir de 2005, direction Le Meurice auprès du chef Yannick Alléno pour une durée de 7 ans.
Publié par Hélène BINET