"Je suis sorti de l'Institut Vatel avec une licence de management hôtelier en poche. Ce n'était pas de la cuisine pure. Je me suis donc fait moi-même grâce à de nombreux extras, et j'ai trouvé mon premier boulot de chef au Cintra à Lyon. J'ai ensuite travaillé pour différents établissements lyonnais, dont celui de Nicolas Le Bec. Mais j'avais envie de changement. J'ai eu des propositions au Qatar, au Nigéria, en Russie, et c'est finalement en Namibie que je me suis installé.
J'étais parti rendre visite à un ami dont les parents habitaient le pays. En blaguant, on s'est dit "Et si on montait un restaurant français ici ?". La plaisanterie est devenue réalité... Les parents de mon ami nous ont aidés pour les démarches administratives, j'ai posé ma démission en France et on a trouvé un emplacement dans une ancienne église. En trois mois, on a ouvert notre restaurant, Le Lyon des Sables, à Walvis Bay.
"Un vrai choc des cultures"
Pendant la première année, j'ai eu des permis de travail de trois mois. On y est allé un peu au culot, en fonds propres. Mais cela n'a pas été facile tous les jours... Un vrai choc des cultures ! À l'ouverture, je faisais par exemple un Lapin étuvé à l'huile d'olive, estragon, tapenade à l'escargot. C'était décalé dans un pays où la culture culinaire, c'est le barbecue… Les gens pensaient que nous étions fous ! L'implantation socio-culturelle a représenté la principale difficulté.
Walvis Bay est la deuxième ville du pays, avec 80 000 habitants : c'est une ville industrielle et une destination touristique, coincée entre les dunes du désert du Namib et la baie. Mais c'est un trou, loin de la France et de sa passion pour la cuisine. La Namibie est un pays indépendant depuis vingt-cinq ans, les mentalités sont encore marquées par l'apartheid et cela rend les relations humaines ambiguës...
Il nous a fallu beaucoup de patience, d'énergie et de travail pour être acceptés. Au début, notre clientèle locale était rare. Il a été très difficile de trouver de petits fournisseurs locaux dans un pays qui privilégiait alors les produits congelés et importés. Il y a eu également un très long processus d'apprentissage de la main-d'oeuvre, en salle et en cuisine. En 2012, nous avons déménagé pour faire un restaurant les pieds dans l'eau, avec vue sur les baleines, les dauphins… Nous avons fini par acquérir une très bonne réputation, avec 30 % de clientèle locale. Le fait que j'aie remporté la compétition du chef namibien de l'année de 2010 à 2014 a sans doute joué.
On a fermé en janvier 2015, à cause de divergences d'opinion et de motivation entre associés. On a tenu cinq ans et demi, avec quelques bas, mais ça a été une aventure fantastique. Cela a été une vraie fierté de faire découvrir quelque chose de différent, de participer à l'éducation du goût.
"Un vrai défi logistique et humain"
En mars 2015, j'ai rejoint une nouvelle compagnie de lodges, Namibia Exclusive Safaris, comme chef exécutif et food & beverage manager.
Le premier lodge ouvre en août, et les trois prochains en septembre. Toute la philosophie de la compagnie est basée sur des lodges ecofriendly, et des liens étroits avec les communautés locales. 75 % de la main-d'oeuvre employée proviendra des communautés, ce qui implique beaucoup de formation. Les quatre lodges, qui n'ont que neuf suites chacun, sont implantés sur des concessions magnifiques, avec des paysages à couper le souffle, des éléphants qui déambulent à 50 mètres de la salle de restaurant… L'objectif est de faire partie des meilleures compagnies de luxe d'Afrique australe dans les deux ou trois prochaines années.
Côté restauration, nous positionnons notre offre à 90 % sur des produits locaux et traditionnels comme les racines, les herbes, les épinards sauvages, les viandes et poissons séchés… Une cuisine basée dans la capitale permettra de centraliser les livraisons de produits et d'avoir un contrôle qualité permanent. C'est là que nous préparerons et conditionnerons sous vide certaines préparations clés, comme les fonds, les sauces, les terrines, les bases de pâtisserie… Puis nous organiserons un système logistique avec des 4 x 4 réfrigérés, pour approvisionner les lodges qui sont espacés de 400 à 500 km chacun, au bout de dizaines de kilomètres de pistes. Dans ces lodges, les clients pourront ainsi découvrir une cuisine raffinée à partir de produits locaux, et même un menu dégustation de sept plats le soir, avec accords mets et vins. Un vrai défi logistique et humain nous attend !"
Publié par Violaine BRISSART