Le flexitarisme aura-t-il la peau des produits carnés ? Rien n’est moins sûr… En dix ans, la consommation de viande, notamment bovine, a certes baissé de 12% en France, d'après une étude du Credoc ( Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie). En cause : l'évolution des modes de vie, les inquiétudes pour la santé, les préoccupations liées à l’environnement et au bien-être animal...
Mais 2018 marque une reprise globale de la consommation, tirée notamment par la restauration hors domicile (RHD). Résultat : + 1,3 % pour les bovins, + 1,1 % pour le porc, + 6,7 % pour la volaille et - 1,3 % pour les ovins, selon France AgriMer. "La consommation de viande baisse au domicile, mais ça marche de plus en plus fort en restauration. Les Français sont des amateurs de protéines animales, et particulièrement de bœuf. L’hystérie du burger en témoigne. Le volume des ventes a été multiplié par 14 ces dix dernières années. 80% des 145 000 restaurants avec service à table présentent un à trois burgers sur leur carte, et pour 80 % d’entre eux, c’est devenu le plat leader", constate Bernard Boutboul, directeur général de Gira Conseil.
De nouveaux concepts
Les grills conservent leur popularité (La Boucherie, à la tête de 142 restaurants, continue d’en ouvrir une dizaine par an), tandis que de nouveaux concepts font leur apparition : des steak houses de plus en plus pointus et des boucheries-restaurants. Melt, par exemple, s’est spécialisé dans le barbecue texan. Son smoker au bois de chêne offre des cuissons lentes, de 4 à 18 heures. Au menu : poitrine de bœuf Black Angus, épaule de cochon confite, travers de porc, demi-poulet – le tout agrémenté de nombreux pickles et sauces maison. "Grâce à cette cuisson, on arrive à rendre fondantes des pièces qui ne sont pas nobles, et à proposer des tickets moyens accessibles, à partir de 18 euros à midi", précise le président de Melt, Jean Ganizate.
De son côté, le chef étoilé Akrame Benallal a créé Atelier Vivanda – "un vrai steak house à la française", où l’on sert de la "viande brute (hampe, persillé, côte de bœuf à partager…), sans sauce, pour un ticket moyen autour de 50 euros". "La plancha permet de saisir sans brûler, en respectant un temps de repos de la viande équivalent au temps de cuisson. Pas besoin de matière grasse, sauf dans le cas d’une viande trop maigre : on rajoutera alors un peu d’huile de pépin de raisin", glisse-t-il.
L’enseigne Persillé, quant à elle, conjugue boucherie traditionnelle et restauration. "Nos best-sellers sont le burger, le tartare au couteau et les grillades, notamment la planche du boucher. Cette dernière est une offre pédagogique, qui propose chaque jour trois morceaux différents de 100 grammes, souvent méconnus, comme le paleron, l’araignée, la poire, les basses côtes… Cela permet au consommateur de comprendre qu’il n’y a pas que le steak", explique le cofondateur Maxence de Warren.
Prise de conscience
Cet appétit pour la viande (87,5 kg par an et par habitant en 2018, contre 75,8 kg en 1970) se double d’une exigence accrue. "Il y a des attentes fortes sur la qualité et la façon dont les animaux sont élevés, en respectant l’environnement et le bien-être animal. La filière prend ça en compte, en lançant le Pacte pour un engagement sociétal. Les viandes bovines se sont fixé un objectif à cinq ans de 40 % en Label rouge, contre 2 % à l’heure actuelle", rapporte Denis Lerouge, responsable des études d’Interbev (l'interprofession du bétail et de la viande).
"La viande devient un produit décrié, admet Maxence de Warren. Mais je reste persuadé qu’un concept autour de la viande a toujours sa place, à condition de privilégier la qualité. Il faut s’assurer de la traçabilité, d’une origine française et durable - nous travaillons avec une dizaine d’éleveurs -, d’une approche plus raisonnée. Toutes nos viandes sont bio ou Label rouge". Dans son prochain concept Atelier Vivanda, Akrame Benallal compte d’ailleurs travailler les carcasses entières - une rareté dans le milieu de la restauration : "On utilisera la bête dans son intégralité, du museau jusqu’à la queue. C’est la responsabilité du restaurateur d’éviter le gâchis", juge-t-il.
L’envol du poulet ?
Aujourd’hui, le bœuf marque la cadence en restauration, loin devant le poulet. Pourtant, "il y a une carte à jouer avec la volaille, notamment en termes de santé. Peu grasse, elle convient à tous les régimes et toutes les religions", souligne Christian Ragaigne, président de l’Association de promotion de la volaille française (APVF). Un point de vue partagé par Maxence de Warren : "La volaille, un peu galvaudée, a de vrais atouts. C’est pourquoi nous testons de nouvelles approches comme la cuisson vapeur pour garder sa tendreté, du canard quasiment bleu, un cordon bleu revisité, de la volaille marinée…". Une façon de surprendre le consommateur.
Publié par Violaine BRISSART