La première fois qu'il a poussé la porte de La Mère Brazier, à Lyon, "c'était en tant que client". Mathieu Viannay se souvient notamment d'un casse-croûte organisé par une quinzaine de chefs dans le restaurant. Jacotte Brazier était là. C'était juste avant qu'elle ne se sépare de l'institution fondée en 1921 par sa grand-mère Eugénie Brazier, première femme ayant obtenu deux fois trois étoiles Michelin et dont Paul Bocuse a été l'apprenti. Nous sommes en 2004 : la table du 12 rue Royale est donc à vendre. "C'était trop tôt pour moi", raconte Mahtieu Viannay. En revanche, quatre ans plus tard, quand il voit que le célèbre bouchon est placé en liquidation judiciaire, il décide de sauter le pas.
Du passé, il reste les cloisons et les
salons
"J'ai voulu tout changer pour ne rien
changer." C'est ainsi que Mathieu Viannay résume son arrivée chez La
Mère Brazier, en 2008. "Je me suis
faufilé dans cette maison. J'ai épousé sa forme, pour mettre un autre
fond." Le chef a tout refait, de l'électricité
jusqu'aux canalisations, arraché les boiseries pour redonner vie aux faïences
des années 1920, remplacé les chaises bistrot par des fauteuils, modernisé les
cuisines, installé la climatisation. Du passé, il reste les cloisons et les
salons où, d'Edouard Herriot à Raymond Barre, en passant par le gratin du show-biz, tous sont venus
déguster les recettes d'Eugénie Brazier. À commencer par son artichaut au foie
gras, toujours à la carte. "Je me
suis affranchi de la cuisine de la Mère Brazier, tout en lui faisant des clins
d'oeil", confie Mathieu Viannay. Le chef, MOF
2004 et double étoilé Michelin, parle de "grands classiques réinventés"
au gré des saisons, des produits et de son inspiration. C'est ainsi que la fameuse
volaille de Bresse demi-deuil renaît sous une forme plus contemporaine.
Création d'un bar à vins et d'une
épicerie-comptoir
"Une maison perçue comme une institution a un
passé, un présent et doit avoir un avenir. Car ce n'est pas un musée, figé dans
le temps", explique Mathieu Viannay. Ainsi, en 2012, a-t-il ouvert
le Brazier wine bar, attenant à La Mère Brazier et conçu autour d'une table
d'hôte. Autre innovation : la récente création de l'Épicerie-comptoir Mère Brazier, avec la
complicité de Gilles Demange,
fondateur du championnat du monde du pâté croûte. Cette adaptation de l'épicerie-buvette,
où avait débuté Eugénie Brazier, propose une offre qui mêle pains,
viennoiseries, terrines et pâtés, fromages, sandwichs… Le tout à consommer sur
place ou à emporter. "L'épicerie se
situe dans le quartier d'affaires de Vaise, détaille Mathieu Viannay. Les habitants sont ravis : ils peuvent
venir acheter le même pain que celui servi au restaurant."
Le chef
mise sur la qualité "pour
tous". Un nouveau challenge qu'il compte réitérer sous forme de
boutiques, de comptoirs. Cette "gastronomie
du quotidien" est une façon de répondre à l'évolution des comportements
des clients. Quand on lui parle de positionnement par rapport aux autres chefs
lyonnais, Mathieu Viannay ajuste le tir : "Nous sommes tous concurrents. Mais nous vivons tous les mêmes galères.
À Lyon, il existe une sorte d'entraide entre les chefs. Y compris à l'égard des
jeunes qui s'installent."
Publié par Anne EVEILLARD