Les éléments du patrimoine français sont désormais en vente. On en retrouve un certain nombre sur le site de Bercy au titre des domaines, mais il en existe aussi un certain nombre auprès des collectivités locales ou des administrations. Comme l'argent manque, l'État cède une partie de son patrimoine, et la vente de bâtiments prestigieux permet de renflouer les caisses. Ainsi, en mars 2007 est apparu le projet palais de justice de Nantes, un établissement à réhabiliter appartenant à la collectivité locale, libre d'occupation, pris à bail à construction par un pool de partenaires, piloté par Axa Real Estate, le financeur, Cogedim pour la mise en oeuvre et Rezidor comme opérateur. Le projet final comprenait un hôtel de 142 chambres classées 5 étoiles et de nombreux services, dont un spa et une galerie d'art. Cet établissement, qui va ouvrir ses portes en septembre 2012, a ouvert la voie à d'autres projets.
Dans ce genre d'opération, le facteur temps est un élément- clé et, s'il est mal appréhendé, il risque de nuire très fortement à la rentabilité de l'investissement. "Cinq ans, c'est très long, confie Romain Avril, vice-président Business Development chez Rezidor. Cela a eu pour avantage de nous permettre de nous préparer, et ainsi d'aller plus vite quand le chantier a débuté." Pour le financeur, le temps est également fondamental. "Lorsque nous intervenons, déclare Gaël Le Lay, chargé des investissements hôteliers chez Axa, l'investissement que nous réalisons est toujours calculé sur du long terme, au minimum dix ans. Nous ne sommes pas du tout dans une classe d'actifs opportunistes qui se rémunèrent à court terme."
Éviter le recours à la dette
Autre élément fondamental pour réussir, ne pas avoir recours à la dette. "Nous intervenons cash, sur des poches que nous détenons, précise-t-on chez Axa. Cela nous permet de ne pas recourir à la dette. C'est de cette manière que nous avons financé nos deux opérations [à Marseille et Nantes, NDLR]." Les projets qui ont eu recours à la dette pour se financer semblent en effet accuser du retard, comme le projet de la prison Sainte-Anne à Avignon (84) ou celui de Sextus-Mirabeau à Aix-en-Provence (13), d'après le promoteur Generim. "Depuis la légère détente des marchés financiers, nous avons repris les négociations avec les banques susceptibles d'assurer le financement du portage à long terme des murs de l'hôtel", estime la responsable des programmes.
Une autre difficulté dans ce type de projet intervient dans la mise en oeuvre. Les travaux présentent toujours un surcoût plus ou moins important. "Toute transformation d'un bâtiment existant est plus onéreux qu'une construction neuve, confie Émilie d'Angelis, la responsable des programmes de Generim. Il est préférable pour garder un modèle économique viable, que le coût d'achat du bâtiment corresponde à un coût de foncier nu, voire inférieur de 20 à 30 % au prix du marché." Chez Axa, la partie travaux est un élément difficile à appréhender : "Nous avons évidemment eu des surprises, confie Gaël Le Lay, mais nous avions envisagé les surcoûts dans l'enveloppe initiale." Quant à Didier Boidin, vice-président Opérations Europe de l'Ouest chez IHG, l'opérateur des hôtels-Dieu de Marseille et Lyon, il précise qu'"il faut considérer un surcoût qui va de 15 à 20 % de plus en fonction du bâtiment. À Lyon, le site entier est classé, alors qu'à Marseille, nous n'avons gardé que la façade et les escaliers d'honneur. Pour Lyon,, nous devons soumettre à l'approbation des monuments historique le projet dans sa totalité, y compris la décoration intérieure".
"Rémunérer les risques pris"
Un tel investissement est-il rentable d'un point de vue économique ? "Sans doute, déclare Gaël Le Lay, si l'on a su intégrer tous les paramètres préalables et si l'on a choisi le meilleur opérateur avec la meilleure marque. Sur les opérations de Nantes et de Marseille, il nous semblait que les marques Radisson Blu et InterContinental étaient bien adaptées au marché local." Quant à approuver la rentabilité d'un tel investissement, "il faut savoir intégrer le risque dans ce type d'opération", précise Gaël Le Lay. Systématiquement, il intègre 1 à 2 points de plus que dans le lease qu'il signe avec l'opérateur, "pour rémunérer les risques pris" Les opérateurs sont tout aussi nuancés. Pour Romain Avril "le palais de justice de Nantes est un lieu magique, qui va nous permettre de créer une nouvelle offre. Médiatiquement, cela aura un impact très important." "Le retour sur investissement intègre d'autres données, déclare Didier Boidin. C'est une question d'image. Les marges sont similaires à ce que nous dégageons dans nos établissements, alors que pour le propriétaire, la rentabilité est plus faible en raison des coûts de construction." Pour les clients enfin, l'hôtel se présente dans un lieu exceptionnel, avec vue sur le Vieux-Port, et tout le confort d'un palace. "Ils vivront une expérience totale en contemplant la vue plongeante sur la Méditerranée", assure Didier Boidin.
Pour donner tout son cachet au lieu, il faut encore que l'architecte-décorateur puisse faire son oeuvre, également plus complexe quand dans du neuf. Le talent est parfois bridé par la rigueur et les exigences du bâtiment historique. "Nous avons beaucoup travaillé avec Jean-Philippe Nuel, confie Didier Boidin, qui est intervenu sur nos deux projets à Lyon et Marseille. Dans les deux cas, nous voulions éviter de créer un hôtel-musée. Nous voulions plutôt un esprit contemporain, avec de jolis clins d'oeil au passé, en gardant certains éléments historiques." Des exigences qui, conjuguées avec celles des bâtiments historiques, ont dû parfois obliger le décorateur à revoir en partie sa copie.
Alors quel avenir pour ces hôtels situés dans ces lieux de patrimoine, riches d'histoire ? Si l'opération est séduisante, c'est un pari risqué : pas de retour sur investissement immédiat et des contraintes architecturales importantes. Mais l'opérateur capitalisera davantage sur des données immatérielles comme l'image de l'hôtel auprès de la clientèle mais aussi au sein du réseau, car il en deviendra un indéniable porte-drapeau. Enfin, la conversion de ces bâtiments en hôtels permet également aux collectivités locales de redonner vie à des actifs abandonnés, ou qui susciteraient de trop lourds investissements pour être remis en état. Autant d'emplois et de retombées que pourront recevoir les communes. Sauveurs du patrimoine, ces hôtels sont ainsi de gros contributeurs à la vie économique locale.
L'hôtellerie au secours du patrimoine
Les hôtels qui s'installent dans des bâtiments historiques ou administratifs, sont de plus en plus nombreux : les hôtels-Dieu de Marseille et Lyon, d'anciens établissements publics comme une prison à Avignon, un commissariat de police à Strasbourg, le palais de justice de Nantes… Pour quelle raison investir dans de tels bâtiments ? Est-ce rentable pour l'investisseur ? Qu'en attendent les opérateurs ? Comment s'y expriment les architectes décorateurs ? Analyse.
Publié le 04 mai 2012 à 19:32