De Sciences-Po à la restauration, il y avait un gouffre qu'Hélène Samuel a su franchir. Au feeling. La quadragénaire règne aujourd'hui sur le Café Salle Pleyel. Ce restaurant tout droit sorti de son imagination est le résultat de son parcours riche et éclectique. "La Salle Pleyel est un lieu d'expression pour les artistes, j'ai souhaité faire la même chose pour la cuisine et créer un lieu d'expression pour les chefs" relate-t-elle. À chacun son chef : d'orchestre pour la salle, de cuisine pour le restaurant. "J'ai voulu jouer le parallèle en invitant à chaque saison un nouveau cuisinier à signer la carte du restaurant. C'est un peu comme un restaurant-croisière : à chaque nouvelle saison musicale, on rouvre avec un nouveau chef. On entre dans sa tête pendant un an", s'amuse-t-elle. Depuis cinq saisons, se sont succédé Sonia Ezgulian, David Zuddas, Laura Zavan, puis Arnaud Daguin. Cette année, c'est au tour de l'italiano-argentin Mauro Colagreco (Le Mirazur à Menton) d'être le chef-invité. Le restaurant est ouvert le midi en semaine et tous les soirs de concerts. "Une salle de concert peut faire peur. Le restaurant est un lieu de vie, de convivialité qui permet de la désacraliser et de la faire vivre la journée", insiste-t-elle. Ici, Hélène Samuel dirige une équipe d'une dizaine de personnes (60 à 80 couverts le midi, 25 à 40 le soir) chargée de mettre en musique la partition du chef-invité, une déclinaison plus canaille, plus parisienne de sa cuisine. La carte, qui se compose d'un plat du jour, d'un hamburger revisité par chaque chef et d'une quinzaine de propositions, change entièrement tous les trois mois.
Le déclic Ducasse
Pour Hélène Samuel, avoir son restaurant à elle a très vite été un rêve. La rencontre avec Frédérick e.Grasser sera décisive dans son revirement de carrière - elle travaillait auparavant dans l'événementiel pour une délégation interministérielle. Elle lui trouve un stage de dix jours en pâtisserie chez Fauchon, auprès de Pierre Hermé, avant de la mettre en relation avec Alain Ducasse, alors chef de l'Hôtel de Paris à Monaco, qui cherche une personne pour le seconder. Elle a alors 30 ans, quitte sa vie parisienne et débarque pour travailler auprès du triple étoilé. "Pendant quatre ans, c'était formidable ! J'ai adoré travailler avec Alain Ducasse, j'apprenais tout en direct : comment changer les cartes, trouver un chef de partie... J'ai découvert plein de facettes du métier." Puis vient l'ouverture du Restaurant Alain Ducasse à Paris, les fréquents allers et retours et l'envie de retrouver la capitale à plein temps.
Retour à Paris donc, où elle lance sa société de consulting, Spoonfool. "Dans ce milieu qui était autrefois très fermé, être une femme, ça avait des avantages car les gens se souvenaient de moi", assure-t-elle. Elle poursuit néanmoins sa collaboration avec Alain Ducasse, en free-lance donc, notamment sur le lancement du Spoon Paris. "Il a voulu tout remettre à plat, c'était un restaurant révolutionnaire, qui avait un temps d'avance sur tout", se souvient-elle. Puis planche sur des concepts, un restaurant-dînette pour dames pour le concept-store Etam par exemple, collabore avec Marks & Spencer… La directrice commerciale du Bon Marché lui fait un jour part de son projet d'ouvrir un restaurant au sein du grand magasin. "Je ne me voyais pas être exploitante. Et puis je me suis dit : 'pourquoi pas ?' Nous avons fait la présentation en mai et l'ouverture en novembre." Salon de thé contemporain, le Délicabar proposait du salé et du sucré à toute heure de la journée, déclinant des recettes de pâtisserie classique (millefeuille, sabayon…) aux légumes, aux fruits et au chocolat. L'aventure a duré cinq ans.
"Le client sent quand l'histoire est authentique"
Aujourd'hui, en parallèle du Café Salle Pleyel, elle continue, à travers sa société Spoonfool, le consulting pour les chaînes d'hôtels et la création de concepts. "C'est important de garder le nez dehors, de se tenir au courant. Plus on fait de choses à l'extérieur, plus on enrichit son établissement", apprécie cette femme audacieuse qui dit également aimer la convivialité de cet univers. "Même en deux minutes, on arrive à créer des liens avec les clients, c'est ce que j'aime." En tant que restauratrice, elle envisage sa mission plus comme la création d'un lieu dans sa globalité que le simple fait de nourrir les clients. Ce qui nécessite beaucoup de présence, d'attention, de méthodologie et d'organisation. "Le consulting m'a appris à écouter. Il faut avoir l'adhésion des gens qui vont mettre en scène le concept qu'on a écrit, que tout le monde soit associé, ensemble, car le client sent tout de suite quand l'histoire est authentique, le produit vrai."
La suite ? Le contrat pour le Café Salle Pleyel court encore pour quelque temps, mais Hélène Samuel a d'ores et déjà une idée pour après, "différente mais toujours dans la restauration."
Publié par Julie GERBET