Gwendal Poullennec : "L'étoile, c'est une incitation à prendre des risques"

Quelques mois après la révélation de la promotion 2019 des nouveaux étoilés, le nouveau directeur international des guides Michelin revient sur les points forts de la sélection et les interrogations qu'elle a suscitées.

Publié le 23 avril 2019 à 16:05

L’Hôtellerie Restauration : Pour ce premier millésime sous votre direction, les surprises ont été nombreuses. À commencer par la perte des 3 étoiles de Pascal Barbot, Marc Haeberlin et Marc Veyrat. La nouvelle a créé un choc dans la profession. Avez-vous été étonné par les réactions ?

Gwendal Poullennec : Lorsque les inspecteurs et moi prenons la décision de retirer une étoile, cela nous coûte émotionnellement. Nous en mesurons pleinement les conséquences tant pour les chefs que pour leurs équipes. Sans légèreté ni opportunisme, nous travaillons pour les clients qui nous renouvellent chaque année leur confiance. Modifier une distinction lorsque nous le pensons nécessaire est l’un des fondements du contrat de confiance qui nous lie aux lecteurs : nos recommandations doivent être à jour. C’est pourquoi elles sont émises annuellement, de façon collégiale, et sont le résultat de plusieurs passages dans les restaurants. Nous connaissons ces maisons depuis leur ouverture, nous les voyons grandir à mesure que les équipes mûrissent, nous partageons le plaisir des clients ordinaires qui découvrent les nouveautés de la saison ou dégustent le plat signature du chef. Nous aimons inscrire notre travail dans la durée et suivre la vie des maisons et des équipes mois après mois. Aussi, et comme pour d’autres chefs, j’ai fait la démarche d’appeler Pascal Barbot, Marc Haeberlin et Marc Veyrat la veille ou l’avant-veille de la présentation de la sélection 2019 pour les informer personnellement. Ce sont trois grands chefs qui portent haut les couleurs de la gastronomie française. Les journées qui précèdent la présentation de la sélection sont dédiées aux chefs et à ces moments d’échanges avec la profession.

Il n’y a pas eu plus de pertes d’étoiles cette année que les années précédentes, mais la notoriété de ces établissements a rendu ce moment particulier. Ces trois chefs sont venus dans nos locaux pour obtenir des éclaircissements sur la base des essais de table réalisés par les inspecteurs. Ce sont des chefs qui se projettent d’ores et déjà sur l’année prochaine et les années suivantes. Toutes nos distinctions sont mises à jour tous les ans. Rien n’est immuable. L’enjeu, c’est de regarder devant et de cuisiner pour les clients.

Peuvent-ils retrouver leur troisième étoile dès l’an prochain ?

Il n’y a aucun interdit ni règle. Seuls les saveurs, la personnalité et les savoir-faire déclinés dans les assiettes comptent. Le tout à un niveau régulier pour garantir aux clients la meilleure expérience de janvier à décembre. Nous décernons l’étoile lorsque nous sommes pleinement confiants à l’idée de recommander l’établissement à nos clients. Une année peut suffire.

Certains ont mis en cause la qualité des inspecteurs. Que répondez-vous ?

L’équipe d’inspecteurs des guides Michelin est composée de passionnés qui exercent leur métier avec une envie qui n’égale que leur professionnalisme. Je suis fier d’avoir été nommé à la tête de ces femmes et de ces hommes dont le profil est unique chez Michelin. Nous n’avons jamais eu autant d’inspecteurs qu’aujourd’hui dans le monde. Les recrutements et la longue formation qui s’ensuit assurent le déploiement international de nos sélections et l’homogénéité des avis rendus. La façon dont on forme les inspecteurs demeure la même, le temps passé également. Durant la première année, les nouveaux venus bénéficient d’une formation pratique et théorique. Ils gagnent une véritable autonomie après trois ans d’expérience chez nous. Soit environ un millier d’essais de tables. Et je rappellerai à nouveau que les décisions sont collégiales et qu’elles ne sont jamais le fait d’un inspecteur isolé.

Cet électrochoc crée un sentiment de crainte pour l’année prochaine et les suivantes, notamment devant l’éventuelle poursuite des rétrogradations. Michelin qui inspire la crainte, est-ce une bonne idée ?

Ne nous trompons pas d’enjeu. Nous mettons en lumière de nouveaux établissements chaque année et espérons ainsi contribuer au succès de ces restaurants dont la plupart sont tenus par des chefs entrepreneurs. Les clients à qui nous recommandons ces adresses nous font confiance. Nous voulons la mériter honnêtement en nous basant sur l’expertise et le goût de nos inspecteurs. C’est une responsabilité que je suis heureux d’assumer. Je comprends aussi que les chefs s’expriment et je les enjoins à partager avec nous leurs préoccupations. Notre responsabilité est d’expliquer la façon dont nous travaillons. Nous n’avons rien à cacher, nous souhaitons simplement protéger nos équipes pour qu’elles puissent continuer à exercer leur métier anonymement et sereinement. Si la qualité est là pour les clients, elle sera là pour les inspecteurs et la recommandation suivra naturellement. Nous voulons que les chefs gardent leur liberté. Cuisinez pour vos clients ! Pensez à eux, il n’y a pas qu’une façon d’obtenir 1, 2 ou 3 étoiles.

 

Dans le même temps, avec 75 nouveaux promus, la sélection 2019 est riche et variée. Quelles sont pour vous les grandes tendances que cela révèle ?

On n’a jamais eu une aussi belle promotion que cette année et la sélection a soulevé un grand enthousiasme, car elle démontre que l’on peut réussir quel que soit son type de cuisine, son âge, sa situation géographique... La stratégie de recherche des talents a payé : les inspecteurs ont déniché des talents dans des zones variées, certaines très rurales. Le palmarès 2019 a révélé une véritable dynamique de la cuisine française. Entre 2009 et 2019, le nombre de restaurants étoilés en France a augmenté de 15 %. 

Aujourd’hui, aller dans un établissement, c’est un véritable choix qui inclut une attention grandissante à la provenance et la saisonnalité des produits, par exemple. Les clients sont heureux de redécouvrir leur terroir à travers la créativité des chefs. On a également recensé de nombreuses ouvertures partout en province et sur tous les types de cuisines où les chefs veulent partager leurs engagements et leurs convictions avec leurs clients, conscients de l’impact positif que leur figure peut avoir.

 

La sélection 2019 comprend dix femmes 1 étoile et une 2 étoile, Stéphanie Le Quellec. Est-ce un phénomène de fond ?

Les femmes étoilées cette année l’ont été parce qu’elles ont du talent. Autant que les hommes qui ont reçu des récompenses équivalentes. Il n’y a pas eu de favoritisme. Je souhaite mettre les femmes chefs en lumière car j’espère qu’elles inspireront d’autres talents féminins. Les apprenties, les femmes qui œuvrent dans les brigades peuvent se référer à des modèles de cheffes de haute volée. Est-ce qu’on aura une aussi belle sélection de femmes dans les années à venir, ce n’est pas certain. Je rappelle que nous n’avons aucun quota et que la sélection reflétera la réalité de la scène culinaire française. Célébrons cette promotion de dix femmes, soit un chef nouvellement étoilé sur sept. J’espère qu’elles seront de plus en plus nombreuses à se lancer, à prendre la tête d’un restaurant. L’étoile consacre la liberté d’un chef et donne de la force à ses équipes et aux projets qu’il entend mener grâce à la force de sa recommandation. Outre la reconnaissance, l’étoile permet d’objectiver un niveau de cuisine et de gagner en confiance pour se lancer. Quel bonheur de voir des chefs salariés étoilés devenir chefs d’entreprise et monter leur propre restaurant, à l’image de ce qu’a fait Stéphanie Le Quellec. L’étoile, c’est une incitation à prendre des risques. Cela signifie : “Vous savez faire, donc libérez-vous.” Il faut que les chefs vivent pleinement cette liberté.

 

La création de prix comme celui de l’accueil et du service, ou du sommelier, ou la mise à l’honneur de trente pâtissiers au travers de la promotion Passion 2019 mettent en valeur des métiers essentiels. Le nouveau prix Michelin de la gastronomie durable est aussi une nouveauté. Allez-vous continuer dans cette voie ? Est-ce qu’on peut espérer une reconnaissance encore plus forte ?

J’aimerais reprendre en substance la citation de Paul Bocuse : “Vous, les chefs, et nous, Michelin, nous sommes du même côté du buffet.” Nous souhaitons formuler les meilleures recommandations possible aux clients. Ce que l’on met en avant au travers de ces prix, c’est l’excellence d’un travail d’équipe. L’étoile n’appartient pas à un chef mais à une équipe qui fait vivre d’heureux moments aux amateurs de bonnes tables. Ces prix ne visent pas à faire émerger de nouvelles vedettes ou à magnifier individuellement les personnalités mais à montrer dans quelle mesure l’ensemble de ces métiers participent à une dynamique pour créer la plus belle des expériences, à table. Notre rôle, en les mettant en valeur, c’est de les rendre inspirants. Cela participe de l’essor du secteur. Nous avons un rôle de catalyseur, de promoteur, de porte-voix qui peut inciter les jeunes à s’intéresser à ces métiers, à voir à quel point ils sont excitants, valorisants et passionnants.

 

Michelin Gwendal Poullennec


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Publié par Nadine LEMOINE



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