Une affaire de brûlure infligée à un commis a été le déclencheur. Des journalistes m'ont interrogé et cela a été le début d'une réflexion de plusieurs mois. Personnellement, et je suis dans le métier depuis 1960, je n'ai jamais été victime de violences en cuisine. Il faut cependant reconnaître que j'ai entendu beaucoup d'histoires au fil du temps, de la jeune fille enfermée une demi-heure dans un frigo à celui qui mettait des protège-tibia pour éviter les bleus. Or la peau est un organe et c'est une frontière à ne pas franchir. Non, la violence, physique ou verbale, les coups, les brûlures, ne font pas partie de l'apprentissage. L'entraînement est le seul outil de progression.
En me remémorant ces récits mais aussi quelques témoignages directs, je me suis senti comme investi d'une mission. Il faut en finir avec l'omerta. Nous avons tous été un peu dans le déni. Nous ne sommes pas complices, mais il était temps qu'on réagisse. J'ai joint de grands chefs reconnus et légitimement respectés. Je leur ai demandé s'ils étaient prêts à soutenir le manifeste. Ils ont eu le courage de le signer.
Qu'attendez-vous de vos collègues ?
C'est une affaire de cuisiniers. Nous devons nous prendre en main. Je voudrais que toutes les associations de cuisiniers, partout en France, qu'elles regroupent des cuisiniers de cuisine collective, de brasseries ou des restaurants traditionnels…, signent ce manifeste. Qu'elles viennent nous rejoindre pour qu'on stoppe les brutalités, les grossièretés, les actes révoltants qui arrivent parfois. Cette profession n'est pas facile. On n'a pas besoin de rajouter de la méchanceté gratuite. Le respect d'abord !
Quelles sont les premières réactions ?
Depuis mon intervention à Science Po lors du débat sur ce sujet, je suis constamment interpellé. On me dit de continuer, de ne pas lâcher. Des jeunes et moins jeunes viennent me raconter ce qu'ils ont vécu. J'ai aussi des professionnels qui nous rejoignent comme Dominique Loiseau et Claire Verneil. Car le manifeste dénonce la violence faite aux commis, mais aussi à tous, en cuisine comme en salle. J'ai découvert également un machisme dont je ne soupçonnais pas l'ampleur. Beaucoup de femmes sont venues me trouver et ce qu'elles m'ont raconté est inacceptable. Oui, il y a des comportements à dénoncer et à faire disparaître et c'est toute la profession qui doit se mobiliser. Il faut rendre de l'éthique à ce beau métier.
Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine
jeudi 15 janvier 2015