L’Hôtellerie Restauration : Dans votre quatrième livre, vous proposez 30 recettes 3 étoiles et leur version ‘à la maison’. Pourquoi ce parti pris ?
Éric Pras : J’ai souvent entendu des clients me dire “c’est bien un livre de chef, mais il y a beaucoup de techniques et des choses qu’on ne peut pas refaire chez soi”. J’ai gardé cette remarque en tête, j’en ai discuté avec mon épouse et, au bout de quelques temps, j’ai été partant pour refaire un livre, à condition de décliner aussi, pour la maison, une trentaine de recettes du restaurant gastronomique. Les mêmes produits sont utilisés dans les deux scénarios, mais les recettes sont simplifiées dans la rubrique ‘maison’. Or, simplifier, cela a été un gros travail pour moi, car je suis habitué à faire des choses plutôt complexes. “Faire simple, c’est compliqué”, disait Paul Bocuse. On n’a pas le droit à l’erreur quand on prépare quelque chose de simple. Il n’y a pas de superflu. On va droit au but. J’ai trouvé cet exercice passionnant, j’ai beaucoup appris, j’ai partagé cette expérience avec les collaborateurs, bref il y a eu une vraie réflexion entre nous tous et je suis satisfait du résultat. En simplifiant la recette, je voulais que ce soit réalisable à la maison et que le lecteur essaie la recette simplifiée, puis au fur et à mesure se tourne vers la recette un peu plus compliquée. Car beaucoup cuisinent désormais chez eux. Certains ont même du matériel, apprennent, sont passionnés et évoluent dans leur façon de cuisiner. Ce livre, c’est de la transmission aussi : je ne garde pas mes secrets pour moi. Il n’y a rien de pire que ça.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir cuisinier ?
Je suis de la campagne, mes grands-parents étaient agriculteurs. J’étais entouré de bons produits et je voyais ma mère et mes grands-mères cuisiner. C’est tout ça qui m’a donné envie de passer derrière les fourneaux. Dans un premier temps, j’ai voulu devenir footballeur, mais j’étais nul ! Je me suis donc rabattu vers la cuisine en sortie de classe de 3e, même si je ne connaissais rien au métier de cuisinier.
Qui vous a mis le pied à l’étrier ?
J’ai eu la chance, à l’âge de 15 ans, d’avoir un maître d’apprentissage qui m’a montré beaucoup de choses, donné des valeurs et un niveau d’exigence, avant de m’ouvrir les portes de chez Troisgros, à Roanne. C’est là où ça s’est vraiment déclenché pour moi. Je passais devant cette maison tous les jours, car je prenais le bus pour aller au CFA à la gare routière située juste en face du restaurant. Je lisais les cartes et ça me faisait rêver. Je pensais que ne pourrais jamais y rentrer. Mais j’ai bien bossé et récolté de bonnes notes. Car, à l’époque, ce n’était pas simple d’intégrer la brigade de Troisgros : beaucoup de jeunes voulaient y faire leur apprentissage. Je n’ai jamais rien lâché. J’ai toujours voulu apprendre un maximum de choses. Et ce, jusqu’à l’année 2008, où je suis arrivé aux fourneaux de la Maison Lameloise, à Chagny, avec Frédéric Lamy, qui en prenait la direction. C’était un vrai défi, car nous ne nous connaissions pas. Et ça fait bientôt quatorze ans que ça dure ! Finalement d’être arrivés sans nous être croisés avant a eu l’avantage de la découverte, de la rencontre : nous avons appris à nous connaître, avec nos qualités et nos défauts.
Vous aimez les challenges. Auriez-vous un côté aventurier ?
Oui, j’aime bien les défis. À l’instar du titre de MOF : j’en rêvais, cela m’a demandé beaucoup de travail et j’ai eu la chance d’y arriver. Car il y a toujours une part de chance dans tout ça. De la chance et des rencontres. J’ai travaillé avec des chefs incroyables - Jean et Pierre Troisgros, Bernard Loiseau, Pierre Gagnaire, Antoine Westermann, Régis Marcon… -, qui ont su m’aider et m’ont appris mon métier.
Quel regard posez-vous aujourd’hui sur votre profession ?
Le métier évolue. La crise sanitaire n’a fait qu’accélérer cela. Au sein des équipes, chacun a envie de profiter de sa famille, des moments de loisirs… Ce que je comprends. J’ai besoin de m’évader, moi aussi. Alors on réfléchit à tout ça. Il va falloir trouver des solutions, mais je suis très optimiste. C’est à nous de faire évoluer nos métiers et aux jeunes qui arrivent aussi : ils sont la relève. Parallèlement, nos entreprises doivent rester viables : on ne peut pas fermer notre restaurant quatre jours, car les clients ne le comprendraient pas. Il faut donc continuer d’avancer, se remettre en question, être à l’écoute des autres.
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Publié par Anne EVEILLARD