Dialogue, respect, formation : les clés du métier en Alsace

Strasbourg (67) Terre d'apprentissage et de gastronomie, l'Alsace est plutôt bien lotie sur le marché de l'emploi. Attention cependant à la formation en continu, que bien des employés oublient de solliciter.

Publié le 08 mars 2012 à 11:14

L'automobile, le tourisme et l'agroalimentaire forment le triptyque qui fait que l'Alsace a été et demeure une région prospère. Ces trois secteurs sont en pointe, et si l'automobile n'a guère de rapport avec le secteur cafés-hôtels-restaurants, on ne peut naturellement pas en dire autant du tourisme, et, dans une moindre mesure, de l'agroalimentaire. Selon les derniers chiffres du comité régional du tourisme, 11,5 millions de touristes sont venus visiter la région en 2009, dont 2 millions pour la seule période de Noël. Lancée il y a presque vingt ans, l'opération 'Alsace, pays de Noël'est une authentique réussite qui rejaillit forcément sur le secteur. Obtenir une chambre d'hôtel à Strasbourg à partir de la mi-novembre sans s'y être pris à l'avance relève de la mission impossible, de l'aveu même des professionnels.

En 2009, selon le Groupement des hôteliers et restaurateurs d'Alsace - Umih Alsace, le secteur CHR comptait 28 000 emplois dans la région, répartis dans 4 829 entreprises. Un décompte qui ne comprend pas les emplois induits, dans les offices de tourisme, par exemple. La particularité de la région est le nombre de petites entreprises, souvent familiales. En effet, 90 % de ces entreprises comptent moins de 10 employés. Et s'il est vrai que la densité du réseau n'est plus à démontrer, les grands groupes ne s'y taillent pas vraiment la part du lion.

Comme un peu partout dans le pays, la profession, malgré cette densité et des établissements formateurs de qualité, a du mal à recruter du personnel de qualité : "Nous n'avons pas trop de mal à recruter pour les petites tâches. En revanche, nous manquons cruellement de chefs de rangs, de chefs de cuisine… regrette Roger Sengel, président du Groupement des hôteliers, restaurateurs et débitants de boissons du Bas-Rhin Umih 67. Nous avons des établissements scolaires et d'apprentissages très performants, mais nous avons du mal à garder les meilleurs éléments, ou à les faire revenir." Car dans la région, la bête noire, c'est le turnover.

 

Fidéliser les salariés

La profession dans son ensemble a en effet du mal à fidéliser ses salariés, pour diverses raisons. La principale, c'est que beaucoup de jeunes gens issus de CAP-BEP, qui ont donc commencé assez tôt, quittent rapidement le circuit. Car malgré les augmentations de salaires et les divers avantages que les dernières législations ont fournis (primes, mutuelle de branche, augmentation des salaires, aide au permis de conduire… bien souvent, l'arrivée dans le monde du travail est mal vécue. À l'heure où la plupart des gens quittent leur bureau ou partent en week-end, pour les employés de la restauration, c'est le second coup de feu de la journée qui se profile. Sans parler du travail dominical. Car très souvent, les Alsaciens aiment à se retrouver autour d'une bonne table le dimanche midi. C'est pourquoi La Fourchette des Ducs de Nicolas Stamm (2 étoiles Michelin à Obernai, 67) ouvre le dimanche midi, alors qu'elle ne l'est que le soir en semaine.

Certains patrons ont bien étudié des solutions, comme Cédric Moulot, qui dirige un des rares restaurants ouverts 7 jours sur 7 à Strasbourg, la winstub Le Tire-bouchon : "Nous essayons d'organiser des journées en continu pour les employés, dans la mesure du possible. Et puis, les deux jours des congés hebdomadaires consécutifs sont aussi respectés au maximum". Roger Sengel tient le même discours : "L'essentiel, surtout dans de petites entreprises comme les nôtres, c'est de se respecter le plus possible, de communiquer. Et aussi de pouvoir offrir de temps en temps un dimanche à l'un ou à l'autre. Dans mon entreprise [Roger Sengel et son épouse Marie possèdent une winstub à Strasbourg, NDLR], nous avons tout simplement décidé de ne pas ouvrir le dimanche. Même pendant la très lucrative période du marché de Noël, nos employés ont besoin de repos et nous aussi. Il faut pouvoir s'arranger pour conserver une ambiance de travail qui pousse à l'efficacité."

 

Investir dans l'outil de travail et le dialogue

De son côté, Cédric Moulot avance un autre argument : "J'ai entièrement changé ma cuisine cette année. Nouveau piano, nouveau matériel. L'équipe en place est la même que l'année dernière. L'année dernière, durant le marché de Noël, situé à 100 mètres d'ici, l'équipe en cuisine était sur les rotules. Cette année, avec le nouveau matériel ils ont été en pleine forme et ravis de venir travailler. L'outil de travail est aussi primordial quand on veut conserver son personnel. Enfin, je les augmente tous de 2 ou 3% chaque année." Autre arme dont Cédric Moulot use pour conserver son personnel et séduire les potentiels candidats : le dialogue. Roger Sengel y est aussi très favorable : "Il faut communiquer. La plupart du temps, les conflits, quand il y en a, naissent de toutes petits choses non dites qui sont ensuite montées en épingle. Nous avons un métier très prenant, et bien souvent, nous voyons davantage nos collègues que nos conjoints, amis ou famille. La communication est donc primordiale."

Côté hôtelier, Claire-Lise Baumann, qui dirige le Romantik Hotel Beaucour à Strasbourg, a décidé de muer sa prime de résultats en intéressement dès l'année prochaine : "La prime de résultats fonctionnait bien, mais elle était individuelle. L'intéressement est pour tout le monde, donc tout le monde doit aller dans le même sens." N'ayant que 15 employés, Claire-Lise Baumann accorde un soin tout particulier à procurer des journées continues mais aussi à favoriser le dialogue avec la direction, mais aussi entre employés : "Quand l'une des filles de la réception est malade ou a un empêchement, elle appelle sa collègue, elles s'arrangent entre elles et n'ont pas besoin de moi."

Autre son de cloche au Relais & Châteaux La Cheneaudière, à Colroy-La-Roche, où le patron, Nicolas Decker, a carrément installé une pointeuse : "Tout le monde m'a pris pour un fou, sourit le jeune homme. Et pourtant, l'objectifet c'est bien comme cela que je l'ai indiqué à mes 41 employés -, c'est la transparence. Ils pointent, oui, mais au moins, ils sont tous payés au juste prix. L'effectif et la taille de l'établissement ne permettent pas toujours de savoir qui travaille ou pas. Avec cet outil, chacun joue carte sur table et c'est une marque de respect pour leur travail en ce qui me concerne." Cela permet aussi d'éviter toute erreur. Comme Cédric Moulot ou Claire-Lise Baumann, Nicolas Decker reçoit chaque salarié au moins une fois par an, mais chacun l'assure : la porte est toujours ouverte.

 

Et la formation continue ?

Les directeurs d'établissement sont unanimes : la formation des employés essentielle. "Je remets directement le catalogue du Cefppa [centre de formation strasbourgeois, NDLR] à mes salariés. Ils sont libres de choisir ce qu'ils veulent", indique Roger Sengel. La directrice de l'hôtel Beaucour, Audrey Stahl, a choisi de se former à l'allemand, et Cédric Moulot aimerait bien que ses salariés aient davantage envie de se former, d'abord pour des techniques mais pas seulement. "C'est vrai que les formations, dans des entreprises comme les nôtres, peuvent désorganiser l'emploi du temps, mais c'est important, assure-t-il. C'est pour cela que j'aime aussi faire venir des consultants sur place, pour que les conseils soient applicables directement et adaptés immédiatement à l'entreprise et son fonctionnement." Roger Sengel souligne que l'Alsace est une des régions où les crédits formation sont les plus utilisés : "Plus que de la théorie, c'est aussi souvent de la reconnaissance et du plaisir."


Publié par Flora-Lyse Mbella



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