Perdu dans les hauteurs de l'Ardèche, balayé par des vents qui s'engouffrent à travers les cols, le village de Saint-Cierge-la-Serre apparaît comme un miracle au détour d'un virage en lacets. Dans cette commune de 234 habitants, il n'existe ni commerce ni administration. Le premier boucher est à 10 km, la première pompe à essence à 15 km. Alors le maire s'emploie à sauvegarder les deux joyaux interdépendants de la commune et financés par le contribuable : l'école et les Chélines, le café-alimentation. Le bâtiment qui accueille ce dernier a été rénové grâce à 300 000 € de fonds européens. Constitué d'une épicerie, d'une cuisine équipée, d'un bar avec terrasse et d'une salle de restaurant, le lieu est surplombé de deux logements sociaux de 130 m². La gérante, Christine Freydier, épuisée par la charge de travail, a donné son congé le 22 juin dernier, après une année d'activité méritante. C'est donc dans l'urgence que le conseil municipal a dû désigner une nouvelle gérante et garantir la continuité de la cantine, l'une des missions de service public confiée à l'aubergiste. "Avec 30 élèves l'année prochaine répartis en deux classes, nous ne serons pas, pour une fois, sur la liste des écoles à supprimer. Au moins dix écoliers mangent chaque jour aux Chélines", explique Olivier Naudot, 25 ans, dixième plus jeune maire de France. Cet ingénieur agronome, spécialiste mondial des cerisiers, se bat au quotidien pour éviter la mort de son village : "La commune demande un loyer de 150 € mensuel pour l'exploitation du café entièrement refait et équipé, avec un cahier des charges comme la cantine et le dépôt de pains. Dans l'idéal, nous aurions aimé favoriser l'installation d'un couple avec des enfants dont la scolarisation à Saint-Cierge renforcerait la légitimité de l'école et des deux postes d'institutrice." Mais dans la réalité, ce profil n'a jamais été déniché et les précédentes gérances des Chélines n'ont ni convaincu ni duré dans le temps, jusqu'à l'arrivée de Christine Freydier.
La restauratrice abandonne à cause du succès
"Saint-Cierge comme bien des petits villages, c'est un peu Clochemerle. La chance de Christine Freydier c'est qu'elle a été nommée par le maire précèdent et qu'elle s'entend bien avec l'actuel. C'est important pour attirer tout le village au café. Mais ce sont surtout les gens de la région, les randonneurs, les touristes, les amateurs de vin - un tiers de son chiffre d'affaires - et la cantine qui font marcher l'entreprise", explique une villageoise. Christine Freydier, 58 ans, a travaillé vingt ans dans une cave réputée de Privas et exploite une maison d'hôte dans le village. Elle a attiré aux Chélines toute une clientèle acquise à sa réputation de sommelière. Un travail de fond qui bénéficiera à son successeur. Dans ces campagnes, on ne peut pas berner les gens. La cuisine simple, goûteuse, à base de produits frais de la région fera le succès de l'auberge du village autant auprès des tablées de chasseurs que du citadin fuyant la ville. "Je ne travaille que sur réservation avec un menu à 18 € comprenant une entrée, un plat, du fromage et un dessert. Une fois, j'ai fait quarante couverts seule en cuisine, au service et à la plonge, en plaçant une table de douze dans l'épicerie. Je ne travaille qu'avec les produits du jardin et des fermes du coin. Ainsi je propose les fromages de Firmin : j'aime autant son prénom que ses picodons, mais c'est le frère du maire alors cela peut en déranger certains, regrette la restauratrice qui aura dû composer avec les inimitiés du bourg. Je sais bien qu'untel attend que la voiture de tel autre disparaisse pour venir boire son café." Comptabilité à 5 heures du matin, ouverture du café à 7 h 30 avec une fin de journée parfois à 23 heures, Christine Freydier enchaîne des semaines de 60 heures : "Lorsque j'ai repris l'affaire, j'organisais avec succès des expositions, je voulais aller sur les marchés faire des dégustations, j'avais mille projets mais j'ai été débordée par mon succès."
"Quand c'est bon, ça se sait vite"
Dans la Loire, à Saint-Jean-Soleymieux, une commune de 860 habitants logée dans les monts du Forez, le bistrot du village connaît un peu les mêmes soucis. André Mazeno, 72 ans, était voisin du café municipal avant de vendre sa maison de famille. Il fut un client fidèle d'une précédente et regrettée administration : "Ils étaient deux associés, l'un faisait le bar et la salle, l'autre la cuisine. C'était leur métier, ça se sentait. La cuisine était excellente, avec des produits frais. Il m'arrivait de venir prendre le plat du jour à 8 € pour aller le manger chez moi à côté, car le restaurant était plein. Toute la région venait s'attabler à Saint-Jean. Il fallait toujours réserver. Quand c'est bon, ça se sait vite et puis les femmes ne veulent plus faire à manger le dimanche dans les campagnes. Il y a de la demande. Les horaires mais aussi le lieu, avec une cuisine à l'étage, étaient compliqués. Il y a eu des tensions entres les associés, ils se sont fâchés. Ensuite, ce fut une succession de gérants inexpérimentés qui réchauffaient des plats cuisinés mais ça, on peut le faire nous-mêmes. Aux dernières nouvelles, le maire me disait que les candidats n'étaient pas préoccupés par les 500 € de loyer ou les équipements fournis par la commune, leur questionnement concernait essentiellement la possibilité de bénéficier du statut de fonctionnaire."
Publié par Francois PONT
lundi 29 juin 2015