La Palme d'or, ce fut d'abord celle de l'Alsacien Christian Willer, aux commandes des cuisines de 1985 à 2007, créateur de ce restaurant à Cannes avec vue grand écran sur la Méditerranée (2 étoiles Michelin dès 1991) mais aussi du Relais Martinez en 1997 et de la Zplage en 2004. Il était le sage de la Croisette. À ses côtés dès 2001, le Cannois Christian Sinicropi, son dauphin désigné, lui a succédé l'année de son départ. Il n'y eut pas de révolution de palace mais un changement de cap sur l'air de la transmission. Depuis huit ans, il multiplie idées et créations dans un style qui ne ressemble à aucun autre.
"J'ai commencé comme commis de cuisine au Martinez en 1989, mais je ne suis pas à proprement parler un élève de Christian Willer, souligne Christian Sinicropi. Mon parcours m'a conduit d'abord au Carlton avec Sylvain Duparc, à Biarritz à l'Hôtel du Palais avec Jean-Marie Gauthier, à Strasbourg au Buerehiesel d'Antoine Westermann, puis trois ans à Monaco au Louis XV aux côtés d'Alain Ducasse et Franck Cerruti. À La Palme d'or, le chef faisait la carte mais me laissait toute liberté. J'ai aimé son écoute, son sens de l'humain. Il était homme de peu de mots, mais chacun portait. Avec lui, j'étais dans l'échange et la réflexion." Willer-Sinicropi, c'était l'expérience et l'énergie sur un même socle de valeurs.
Un cuisinier-artiste
À 43 ans, le seul 2 étoiles de la Croisette fait parler un talent singulier dont les contours dépassent le domaine culinaire et dont Michelin récompense la maîtrise et la recherche. Mais une cotation reste à inventer pour qualifier ce cuisinier-artiste qui a suivi les cours de l'école des beaux-arts céramiques de Vallauris et conçoit, avec son épouse, Catherine, les supports de ses recettes. "Il doit y avoir une cohérence entre le plat et l'assiette. Elle est l'enveloppe charnelle, le supplément d'âme. Depuis 2010, j'ai créé ainsi une quarantaine de pièces dont La Main tendue et La Dolly avec un artiste plasticien de Nice, Patrick Moya, ou encore un chapiteau du Cirque Arlette Gruss. Il y en aura quatre-vingt cette année pour le 30e anniversaire de La Palme d'or."
Dans la cité du cinéma, le chef exécutif du Martinez tient le haut de l'affiche à sa manière, ne court pas micros, caméras et salons mais capte l'esprit du Festival de Cannes et l'actualité de la ville des congrès. Magie, émotion : en 2010, alors que Tim Burton préside le jury, dont le premier dîner se tient traditionnellement à La Palme d'or, il crée pour lui Arbre et Rêverie et la Danse du haut de forme, assiettes inédites en référence au film Alice au pays des merveilles.
Depuis, la collection s'est enrichie : Taxi Driver et Casino pour Robert De Niro, Habemus papam ! pour Nanni Moretti, Lincoln pour Steven Spielberg... En 2011, Gilles Jacob, président du Festival, lui dit : "Merci pour votre poésie ! J'espère que vous allez continuer !"
Une carte en mouvement
Il continue en effet, peint, sculpte, se passionne pour Cocteau ("un homme libre !"), Dali, Giacometti ou Picasso, lit Voltaire, Kant, Platon, Freud… multiplie les collaborations avec des artistes de la Côte d'Azur, crée dans son atelier près de Grasse (E=SC2) et prépare un livre-objet - "matière, textures, couleurs…" - qu'il éditera lui-même. La Palme d'or est ainsi une scène à deux facettes, art et gastronomie. Christian Sinicropi "casse les codes" et décline sa "cuisine des cinq sens" sur une carte intitulée Mouvement qu'il illustre et peuple de "tableaux", "rencontres" et "jardins".
"J'anticipe les changements, je me projette sans cesse dans le futur. En cuisine, avec Christophe Nannoni, mon bras droit, Matthieu Moléro, sous-chef exécutif depuis dix ans, Julien Ochando, chef pâtissier, ou en salle avec le directeur Cédric Servain et le chef sommelier Dominique Vion, je ne parle pas d'équipe mais de 'tribu'. L'important, c'est l'humain ! Je travaille d'autant plus en en confiance, que Claudio Cecherelli, notre directeur général, est un passionné de cuisine et de produits, et m'apporte son ressenti et son bon sens. Passion, émotion, culture, liberté… nous partageons les mêmes valeurs."
Publié par Jacques GANTIÉ