Il est important de s'interroger de la place allouée à la formation des vins dans les lycées hôteliers français. Il est crucial, si ces mêmes lycées veulent prétendre jouer un rôle dans ces formations, faire autre chose que de former des porteurs d'assiette en salle et être en adéquation avec cette aspiration qu'à la France de faire partie de l'élite mondiale en matière de vin. Paradoxalement, on a jamais autant parlé de formation dédiée au breuvage : l'ASI avec son diplôme International de sommelier, Worldsom avec sa formation haut de gamme, sans parler de l'essor du Wine & Spirit Education en France. Une réelle dynamique positive s'installe alors que l'éducation nationale donne au mieux l'impression de rester statique ; au pire de reculer en envisageant la fermeture de sections de sommellerie. En effet, on parlait il y a encore peu de temps de fermer des mentions complémentaires...
Où en est donc la commercialisation des vins dans les restaurants en France ? C'est tout le paradoxe et un manque d'ambition pour un pays qui se targue souvent d'être à l'épicentre de la gastronomie mondiale : hormis les restaurants gastronomiques, peu de restaurants français maîtrisent l'art de la vente lorsqu'il s'agit de commercialiser les vins car ils n'ont pas de personnel suffisamment formé ou parce que les propriétaires eux-mêmes n'ont pas de formation. Même si nous sommes capables d'avoir les meilleurs sommeliers du monde dans des restaurants non moins prestigieux, dès qu'il s'agit de vendre du vin dans un restaurant plus familier, nous voilà confrontés aux plus grosses difficultés. Des formations internationales telles que celles que propose Worldsom peuvent voir le jour, mais il n'y a pas de programme cohérent (hormis ceux de sommellerie) dans les lycées hôteliers français pour les élèves suivant une filière généraliste. La tentation est grande de faire un parallèle avec nos grands vins, reconnus, ne nécessitant pas réellement de commercialisation et ces autres vins moins prestigieux peut-être, mais de grande qualité certainement que l'on a parfois plus de mal à valoriser sur le marché international faute de moyens adéquats.
Valoriser les vins français dans l'Hexagone
D'autre part, et en termes de marketing à l'international, la France a réussi le plus dur : construire une marque autour de ses vins (l'image véhiculée par la marque « Vin de France » est extrêmement bien valorisée à l'étranger et les sommeliers français sont aussi reconnus). Cependant, il est inadmissible que celle-ci ne soit pas sur son territoire ! Il y a paradoxe à faire du vin un emblème français en dehors de ses frontières et de le délaisser sur le marché domestique. Il est embarrassant qu'un client étranger (ou français) rentre dans un restaurant actuellement en France et qu'il ne puisse avoir une information même mineure sur les vins vendus à la carte (il n'est pas impossible d'ailleurs que ce client ait une connaissance plus affinée du vin que le serveur). Même si les raisons sont multiples tout cela est certainement dû en partie au fait que le vin n'ait pas été suffisamment valorisé durant l'enseignement à l'école hôtelière, dans les filières « généralistes » et aussi sans doute que la méthode d'apprentissage n'ait pas été la bonne. Méthode que j'ai également utilisée dans mon enseignement, j'ai donc pu me rendre compte de ses effets négatifs lors des corrections d'examens. Les résultats incombent en grande partie au manque de temps alloué à cet apprentissage et à la manière dont on appréhende l'éducation des vins.
Il faut donc de nouveau procurer au vin des médiateurs capables de valoriser la marque sur son sol, auprès de la clientèle domestique mais aussi étrangère. Nous avons de très bons sommeliers et il est nécessaire de poursuivre et intensifier leur formation. Mais l'urgence, c'est de former plus et autrement cette grande majorité d'étudiants qui ne suit pas un cursus de sommellerie mais qui intègre des formations hôtelières plus « généralistes » (baccalauréat technologique par exemple) et est appelée à commercialiser du vin dans cette masse de restaurant ou la carte est très minimaliste et où l'on ne vend pas parce que l'on ne le connait pas (avec souvent des vins de médiocre qualité). Peu de restaurants peuvent financièrement se permettre d'avoir des sommeliers attitrés, il est donc extrêmement important pour eux d'avoir des serveurs qualifiés, capable d'orienter la clientèle.
Bien que l'éducation nationale française paye, en comparaison avec des pays comme l'Italie, l'Angleterre, l'Australie par exemple, une certaine attention à la formation des vins dans les sections hôtelière (hors mention sommellerie), le pourcentage alloué à cette formation est ridicule si on le compare avec le pourcentage généré par le chiffre d'affaires des vins dans les restaurants et l'emphase donnée à la prétendue culture des vins en France. Les programmes professionnels en France tendent à conserver un haut niveau de formation académique et certaines disciplines professionnelles sont noyées parmi d'autres. A titre d'exemple et sans en faire l'apologie, les étudiants australiens en école hôtelière passent 20 heures par semaine à l'école (une année et demie en général) alors que nos étudiants restent parfois 35 heures sur place pendant parfois 3 années. Quel capital nos étudiants ont en ils retiré ? Il y a souvent inadéquation entre les nécessités impliquées par le terrain et la réalité de la formation. A titre d'exemple (sans doute caricatural, mais réel) Il est surprenant de voir que la découpe du poulet face au client est toujours au programme alors que peu d'étudiants ne savent carafer un vin (et l'on ne parle pas ici de décantage).
Même si le nouveau référentiel du baccalauréat professionnel commercialisation et service est plutôt encourageant - car comme son intitulé l'indique, il a le mérite de focaliser sur cet aspect souvent négligé qu'est la commercialisation -, il faut chercher un moment avant de repérer le mot « vin ». A titre de comparaison une fois encore, la description du module dédié à cette boisson fait pâle figure à côté d'un « modulo profesional sumilleria » espagnol, intégré dans le diplôme du « Grado Superior Restauracion » ou même du Grado Medio de Técnico en Servicios. L'apprentissage ne s'articule pas d'ailleurs uniquement autour du vignoble Espagnol, mais a aussi comme autre mérite d'évoquer le vignoble international.
Importance des méthodes d'apprentissage
Un des problèmes majeur évoqué par les étudiants en section hôtelière (hors sommellerie), est leur réticence à parler du vin auprès de la clientèle car ils considèrent que leur niveau de connaissance n'est pas suffisant pour en parler. Outre le manque de temps alloué à la formation des vins, il y a également un syndrome typiquement français qui consiste parfois à dire que seuls les experts peuvent s'exprimer et l'on a tendance parfois à mythifier le vin. Il faut désacraliser et rendre le vin « abordable». Il est ridicule et contreproductif de vouloir faire apprendre des appellations par coeur à des étudiants s'ils ne savent pas faire la différence entre un vin blanc sec et moelleux (même si la phase du « par coeur » peut s'avérer ensuite nécessaire). La formation doit être axée sur la vente (en français et en anglais) et la technicité (carafage par exemple, technique qui n'est pas en soi réellement complexe et qui valorise le vin). Cela nécessite sans doute des moyens, mais un bon apprentissage passe d'abord par une phase pratique. Il faut rendre le cours vivant tout comme l'est le vin (apprendre à comparer, apprécier deux produits différents, goûter un chardonnay de Chablis et un autre de la Napa Valley, etc). Cibler cette formation sur les vins français, mais pas uniquement. Il faut introduire dans les programmes une initiation aux vins étrangers (et insister encore plus fortement sur les formations sommellerie). Car les étudiants doivent avoir des éléments de comparaison pour pouvoir conseiller nos clients étrangers qui sont loin de consommer uniquement des vins français chez eux.
Le vin doit trouver dans l'enseignement la place qu'il mérite. Il y a réellement urgence. Si l'éducation nationale ne joue pas son rôle, il est fort à parier que les étudiants vont continuer à se détourner du vin et des métiers de la salle en général. Eventuellement pour se former (cela est déjà le cas si l'on veut avoir accès à une formation basée sur l'apprentissage du vignoble international), ils auront comme dans de nombreux pays recours à des formations privées et payantes. N'oublions pas non plus que les lycées hôteliers sont et doivent demeurer un relais objectif entre les vignerons et la table. Bien évidemment pour réussir il faut dépoussiérer certains référentiels, repenser également la formation des enseignants. Bien sûr, cela nécessite une volonté d'introspection. Il faut prendre des décisions qui favorisent le vin sans doute au détriment d'autres enseignements ou activités chronophages. Mais cela est en tout cas bien plus pertinent si l'on considère la réalité de la profession et la volonté apparente et affichée de continuer à faire du vin un élément indissociable de notre culture.
Gildas L'Hostis, maitre d'enseignement senior vin à l'école hôtelière de Lausanne (qui a longuement enseigné en France)