En 866 Lothaire II, arrière-petit-fils de Charlemagne, répudie son épouse Thiberge, et lui intime l'ordre de résider à Talloires. Elle se fait alors construire une demeure et une chapelle, qui servira de fondations à l'abbaye. "C'est peut être elle, que certains clients disent avoir vue", glisse Dunja Kirchner. Cent cinquante ans plus tard, le domaine de Talloires est donné à l'abbaye bénédictine de Savigny, qui fait prospérer le prieuré, qui devient abbaye royale en 1674. Mais la vie dissolue que mènent les moines leur vaut l'excommunication et l'interdiction de recruter. Même saint François de Sales essaye de les ramener à la raison, sans résultat. Finalement, à la Révolution, l'abbaye est en partie détruite et brûlée, et définitivement fermée en 1833, avant de renaître en hôtel-restaurant à la fin du XIXe siècle.
La chambre du Prieur
Des hôtes célèbres ont séjourné Talloires : la baie aux eaux cristallines, la montagne toute proche et ce magnifique édifice font que le gotha y accourt : Paul Cézanne, qui y peignit parmi ses plus beaux tableaux, Mark Twain, Napoléon III, Winston Churchill ou encore Richard Nixon y avaient leurs habitudes. Gabriel Lippman, l'un des pionniers de la photographie en couleur, prix Nobel de Physique, réalisa un cliché dans le cloître de l'abbaye en 1902. À Talloires, les murs ont une âme et des histoires à raconter. Le cinéma y a également ses entrées : Jean Reno, Bruce Willis et Dany Boon sont tombés sous le charme, au point d'en devenir des actionnaires.
La chambre du prieur, la seule qui n'a pas été rénovée depuis 1681, marque tous les esprits, et les réactions des clients y sont toutes différentes. Il y a ceux qui l'adorent comme le comédien, dramaturge et metteur en scène Jean-Michel Ribes, et ceux qui refusent tout net d'y dormir, comme Bruce Willis. Les clients japonais n'en veulent pas, quand les Saoudiens la réclament. Là plus qu'ailleurs, on y aurait souvent aperçu un fantôme. Dunja Kirchner voulait rénover cette chambre, et quand la demande a enfin été acceptée par l'architecte des bâtiments de France, cela a donné lieu à une découverte exceptionnelle : sous les toiles peintes sont apparues des frises de décors floraux et ornementaux baroques, peintes directement sur le bois des menuiseries, cachées sous le plafond pendant plusieurs siècles.
Aujourd'hui, ce bestiaire floral ravit tous les clients. La nuit, ils affirment qu'ils font de beaux rêves, que l'on sent une énergie positive sous le regard bienveillant des apôtres, et que le fantôme est parti hanter d'autres couloirs. "Je ne sais pas si l'abbaye est hantée, mais, quand je dors seule à l'hôtel pendant les périodes de fermeture, je dis gentiment 'bonsoir' en traversant l'établissement... On ne sait jamais."
Publié par Fleur Tari