"À Aulnay, les problèmes se concentrent au nord de la ville, à côté du parc Robert Ballanger dans des cités en voie de réhabilitation. Ici, c'est un quartier où les pavillons s'échangent à 300 000 € ! C'est pourquoi j'aime que les journalistes viennent sur place", asticote Jean-Claude Cahagnet, l'oeil malicieux et le débit mitraillette. Toutefois, le chef, Maître cuisinier et seul étoilé de Seine-Saint-Denis, reconnaît qu'il fut lui aussi habité par des clichés à sa première visite dans cette ville du '9-3'.
Né dans un quartier populaire parisien, Jean-Claude Cahagnet a passé son enfance en vallée de Chevreuse : "Je n'ai pas voulu suivre d'autres études après mon CAP cuisine obtenu à Tecomah [à Jouy-en-Josas]. Les BTH ou les BTS, à l'époque, c'était pour diriger. Moi, je voulais cuisiner", s'amuse le restaurateur qui connaît, en 1986, après celle de l'enfance, une seconde rupture géographique. Il quitte les cuisines de son mentor, Jean-Pierre Philippe, chef de la Toque blanche aux Mesnuls (78) pour rejoindre Gérard Vié à Versailles. "J'ai quitté une maison où on découpait entier un sanglier pour une tablée de chasseurs pour rejoindre les Trois Marches, face au château de Versailles où les clients pouvaient arriver en hélicoptère. La rupture fut aussi culinaire, du lièvre à la royale aux carottes-fanes plongées dans un bain chocolaté. Cependant, les deux univers était luxueux", se souvient-il.
"Coup de foudre"
En 1997, il se rend à Aulnay-sous-Bois où l'Auberge des Saints-Pères est à vendre. "La Seine-Saint-Denis souffrait déjà d'une mauvaise image. J'ai pourtant eu un coup de foudre à la première visite. J'ai senti le potentiel, avec le parc des expositions et l'étape gourmande sur la route de Roissy. Quant à la clientèle locale, c'est un peu l'histoire des gens du nord et des gens du sud", s'attendrit l'entrepreneur qui n'oublie cependant pas les cinq couverts journaliers de moyenne de la première année : "Un an plus tard, j'ai retourné la table en imposant à mon associé une cuisine fusion-évolutive avec, par exemple, une association huître-chipolata-hibiscus-foie gras et Schweppes gélifié. Certains crièrent au scandale, d'autres au génie mais le succès fut immédiat." En 2004, le guide Michelin lui décerne une étoile "C'était comme si nous avions gagné la coupe du monde, les gens klaxonnaient en passant devant le restaurant."
Les émeutes urbaines arrivent un an après son sacre. "Il n'y avait aucun trouble dans le coin. On n'entendait même pas les convois de CRS rejoindre Sevran, à 3 km. Pourtant, des chroniqueurs célèbres me téléphonaient pour avoir mon avis sur la situation dans les banlieues", s'esclaffe le cuisinier qui pense que la proximité entre l'étoile et les émeutes de 2005 justifièrent ce déferlement médiatique avant de retomber. Ce serait oublier l'article ajourné de Libération en mars 2014, finalement publié dix jours après les événements de Charlie-Hebdo. La 'bonne' presse de Jean-Claude Cahagnet reste autant suspendue à sa localisation et à l'actualité des banlieues qu'au lancement de ses menus 'découverte' à 65 et 85 € et le 'long courrier' à 105 €. L'adéquation entre l'excellence du restaurant et un emplacement inhabituel peut au final servir l'entreprise. "En 2005, notre chiffre d'affaires a souffert des émeutes. La première question que posaient les clients c'était au sujet de ce qu'il adviendrait de leur voiture pendant leur repas. Puis, les médias ont attiré de nouvelles clientèles qui, traditionnellement, ont du mal à passer le périphérique", reconnaît le Maître cuisinier. Depuis onze ans, l'étoile de Jean-Claude Cahagnet brille au dessus de l'avenue de Nonneville et après l'article de Libération et son effet boule de neige, le site internet du Michelin relèverait plus de 1 500 visites hebdomadaires sur la page de l'Auberge des Saints-Pères.
Publié par Francois PONT
mercredi 29 avril 2015