Travailler en Angleterre : une terre d'asile frenchy à envisager avec prudence

Royaume-Uni Avec la crise économique, les hôtels et les restaurants britanniques ont plus que jamais besoin de salariés qualifiés, stables et désireux de s'impliquer.

Publié le 08 mars 2012 à 11:25

En Angleterre, à l'heure de la crise économique, trouver très vite un job en se présentant physiquement aux portes des hôtels et restaurants demeure aujourd'hui l'exception. Certes, le pays compte près de 2,4 millions d'emplois dans le secteur du tourisme (1), certes, malgré la récession, la capacité d'accueil des hôtels ne cesse d'augmenter, certes, le savoir-faire français reste apprécié, surtout en cuisine. Mais face aux dernières réformes relatives à la paie (voir encadré), face à la dévaluation de la livre sterling qui engendre des coûts supplémentaires - notamment lors de l'achat de matières premières françaises -, face à l'augmentation de la TVA en janvier 2011 (de 17,5 % à 20 %) et à la tendance de la clientèle à réduire le montant de leur consommation, la priorité des entreprises britanniques est de minimiser leurs coûts pour rester rentables.

Côté emploi, cela s'est traduit en 2009 par près de 100 000 licenciements dans le secteur, en particulier sur le segment des pubs. Côté recrutement, cela se concrétise aujourd'hui par une sélection plus fine des candidats et par une politique salariale très serrée. Ceux qui cherchent du travail en Angleterre dans l'idée que ce sera plus facile, que le salaire sera meilleur, et qu'ils auront en plus le bénéfice d'apprendre l'anglais, risquent d'être déçus. Le salaire minimum légal s'élève à 5,93 £ (7 €), les heures de travail dépassent bien souvent les 48 heures par semaine, et, sauf pour quelques postes en cuisine de certains restaurants qui jouent la carte 'frenchy', un niveau minimal d'anglais est requis.

Ne pas négliger la province anglaise

Pour autant, des emplois, il y en a. Et le secteur manque de compétences. Du coup, les entreprises recrutent des salariés étrangers. Ainsi, dans le secteur des restaurants, 35 % des employés sont étrangers. Ce chiffre grimpe à 84 % à Londres. Beaucoup d'établissements se plaignent d'avoir du mal à recruter. "Si la maison n'a pas d'étoile Michelin, c'est vraiment très dur d'attirer et de trouver les bons candidats", précise Pascal Aussignac, propriétaire de plusieurs restaurants à Londres dont un étoilé Michelin. Même son de cloche chez Gauthier Soho, le restaurant gastronomique qu'Alexis Gauthier (ex-Roussillon – 1 étoiles Michelin dans le quartier londonien de Pimlico) a ouvert en mai 2010 en plein Soho*. Depuis quelques années, Londres a attiré de grands chefs étoilés qui ont construit leur réputation en France et réussissent à exporter leur image et leur cuisine. Alain Ducasse, Joël Robuchon, Hélène Darroze, Pierre Gagnaire… Sans compter le nombre croissant de Français qui se sont fait un nom hors de France et ont ouvert leur bistrot éponyme (Pierre Koffmann, Bruno Loubet, Daniel Boulud) ou leur restaurant gastronomique : Claude Bosi (Hibiscus), Xavier Rousset (Texture), Alexis Gauthier (Gauthier Soho), ou encore qui ont créé un véritable groupe : Pascal Aussignac et Vincent Labeyrie ont ouvert leur 6e établissement en octobre 2010, Raymond Blanc poursuit le développement des Brasserie Blanc dont la dernière a ouvert récemment en plein coeur du quartier financier de la City.

Mais Londres n'est pas la seule destination à envisager pour une expatriation réussie. La province anglaise peut elle aussi offrir des opportunités intéressantes et permettre aux plus ambitieux de se faire remarquer plus aisément. En témoignent les succès de Gérard Basset, meilleur sommelier du monde en 2010, dont la carrière a pris son envol alors qu'il travaillé dans l'Hampshire, de Claude Bosi, qui s'est d'abord fait un nom dans le Shropshire, ou encore du jeune Xavier Rousset qui a ouvert Texture (1 étoile Michelin) à Londres après avoir fait ses armes hors de la capitale sous la coupe de Gérard Basset puis de Raymond Blanc. Raymond Blanc, justement, a lui construit sa renommée près d'Oxford, avec le Manoir aux Quat'Saisons, avant de créer les Brasseries Blanc en province. Sur le segment des hôtels, il faut noter que le groupe Accor - qui emploie plus 5 000 personnes au Royaume-Uni avec 144 hôtels - prévoit d'atteindre les 215 établissements en 2013.

Cibler l'entreprise

"Si travailler à l'étranger est toujours une expérience enrichissante, mais pour que l'expérience soit positive, l'employé doit se préparer et penser à tous les à-côtés – logement et transport notamment. Cela suppose de venir avec l'objectif de rester plus longtemps qu'une saison", insiste Isabelle Charrière-Boudart, DRH chez Sketch, qui emploie 180 personnes. Ainsi, il est conseillé de cibler l'établissement dans lequel on veut travailler, de savoir pourquoi on y postule et de projeter d'y rester au moins un an. "La constance est un élément positif indéniable dans la sélection de CV", explique la DRH. Plus que dans son propre pays, il faut accepter de consacrer du temps à un même emploi pour en tirer un réel bénéfice tant personnel que professionnel.

"L'Angleterre est plus cosmopolite dans sa cuisine, très créative aussi", explique Jimmy Desrivières, 32 ans, qui a travaillé trois ans dans le sud de l'Angleterre et qui, actuellement en poste à Monaco, songe à venir à Londres pour retrouver l'esprit dynamique et optimiste anglo-saxons. "L'une des grandes satisfactions à Londres est que la clientèle est variée et qu'elle demeure présente. Nous n'avons pas ressenti la crise. Nous sommes pleins tous les soirs en semaine, avec un taux d'occupation de 50% à midi", explique Alexis Gauthier, 37 ans, propriétaire de Gauthier Soho. "En Angleterre, j'ai eu l'opportunité de développer mes compétences techniques et managériales, et, personnellement, je suis devenu un meilleur Français", confie pour sa part Benoit Blin, chef pâtissier au Manoir aux Quat'Saisons, près d'Oxford au nord de Londres. "En France, nous n'aurions jamais eu l'opportunité de gérer un établissement aussi jeunes", avouent Julien Carlon, 32 ans, et Maxime Le Van, 26 ans, placés à la tête du restaurant Cigalon, le dernier du groupe de Pascal Aussignac et Vincent Labeyrie. À condition de bien se préparer, l'Angleterre reste dynamique et offre encore malgré la crise de belles opportunités de carrière à ceux qui sont curieux d'expérimenter une méthode de travail plus ouverte sur l'international et plus encline à donner une chance aux passionnés.

(1) Selon le rapport State of the Nation 2010 publié par l'organisme britannique People 1st.

*Gauthier Soho a été honoré d'1 étoile Michelin dans la guide 2011 publié en janvier.


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Publié par Tiphaine BEAUSSERON



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