Deux ans après être devenu entreprise à mission, quel bilan tirez-vous ?
Sur le plan stratégique, c’est un choix que je considère très positif. Il nous a permis de formaliser nos engagements, de structurer notre action et de mieux dialoguer avec nos parties prenantes. Nous avons été beaucoup sollicités : tables rondes, échanges avec d’autres hôteliers... Cela a confirmé que nous étions sur la bonne voie. Et d’un point de vue opérationnel, cette démarche a renforcé la rigueur de nos process : par exemple, c’est grâce à notre feuille de route RSE que nous avons découvert que certaines actions – comme le partenariat avec Too Good To Go –n’étaient pas en place partout. Aujourd’hui, chaque projet est pensé au regard de nos engagements.
Comment cela se traduit-il dans la vie quotidienne du groupe ?
Nous n’avons pas nommé de responsable RSE : c’est un projet d’entreprise, porté collectivement. La politique d’achats, par exemple, est en train d'être repensée avec un cahier des charges clair et des objectifs alignés sur notre mission. Nous rediscutons régulièrement avec nos fournisseurs, dans une logique d’engagement commun. La mission a aussi été un levier d’innovation, comme avec nos deux chambres 100 % made in France, en partenariat avec l’Ameublement Français, conçues avec le budget habituel, présentées à ÉquipHotel. Elle a également ouvert des partenariats inattendus, comme avec la Fondation Comyces pour l’enfance : en 2024, nous avons offert 100 nuitées à des familles dont les enfants sont hospitalisés, et nous en offrirons 1 000 en 2025. Ça crée un fort levier d’engagement pour les équipes, ils sont fiers de participer à une action positive.
Ce type d’engagement demande-t-il davantage de ressources ?
Pas nécessairement. Ce sont avant tout des outils et une méthodologie. Cela implique de se poser les bonnes questions au moment de chaque décision : comment générer un impact positif ? La difficulté, c’est surtout la communication interne. Nous avons mis en place une newsletter mensuelle, avec des vidéos, et avons distribué une synthèse des actions de l’année. Nous avons aussi participé collectivement au défi “2 tonnes”, ce qui a permis à chacun, du siège à la réception d’un hôtel en région, de se sentir concerné par les enjeux climatiques.
Quels sont aujourd’hui les axes de développement du groupe ?
Nous venons d’ouvrir notre 15e hôtel à Troyes, et nous visons un doublement du parc ouvert ou signé d’ici 2030. Cela passe par plusieurs axes : prise à bail, construction, reprise d’hôtels, contrats de gestion ou en filiale. Nous tenons également au développement via notre offre en franchise. Le développement se fait en France – grandes villes et villes secondaires – mais aussi en Europe. L’ouverture à Troyes est emblématique : face à la gare rénovée, dans une ville attractive sur les secteurs business et loisir, avec un financement monté avec Extendam et la Banque des Territoires.
Quels sont les critères qui guident vos implantations ?
Nous recevons plus de 300 dossiers par an, que nous analysons très finement. Ce qui fait la différence, c’est la micro-localisation. Nous sommes très attentifs à ne pas nous engager sur des projets aux prix déconnectés des réalités économiques. Le contexte reste tendu : les politiques voyage des entreprises sont rationnalisées, les marges se réduisent, certains établissements sont mis en vente car les propriétaires ne peuvent plus assumer les investissements nécessaires. Il faut rester sélectif.
Quels sont les grands enjeux de l’hôtellerie indépendante aujourd’hui ?
Il y a d’abord un enjeu d’agilité. Depuis le Covid, les comportements de nos collaborateurs comme de nos clients ont changé, et nous essayons encore d’en mesurer pleinement les effets. Il faut aussi travailler sur l’attractivité de nos métiers. Le sens au travail est devenu central, et cela suppose d’accompagner les équipes, de prévenir l’épuisement. Enfin, il y a bien sûr l’enjeu climatique : il devient urgent de construire des plans de robustesse. Les événements climatiques extrêmes se multiplient, et je suis heureuse d’avoir un parc réparti sur l’ensemble du territoire. C’est un facteur de résilience.
Au-delà de ces enjeux, j’ai un projet qui me tient au cœur sur l’open data. J’aimerais que l’on imagine un outil pour mutualiser les forces de l’hôtellerie indépendante d’un point de vue RSE. L’avenir de la durabilité du tourisme français est chez les hôteliers indépendants.
La digitalisation est-elle aussi un enjeu majeur ?
Oui, et l’hôtellerie est clairement en retard. Avec l’IA, il y a des opportunités pour alléger certaines tâches, tout en personnalisant davantage l’expérience client. Cela pourrait aussi nous aider à reprendre la main sur notre distribution. C’est un chantier à ne pas manquer.
La féminisation des postes de direction vous semble-t-elle progresser ?
Pas assez vite. Il reste beaucoup à faire pour rendre ces postes accessibles aux femmes, notamment en opérationnel. Pour moi, le cœur du sujet, c’est la parentalité, au-delà de la maternité. Il faut repenser les modèles. En tant que dirigeante, je dîne régulièrement avec des partenaires, je me déplace beaucoup... et pour autant je n’ai jamais raté une sortie scolaire. La maternité a été un accélérateur pour moi : elle m’a appris à mieux déléguer, à gérer mes priorités, à vouloir plus. Cela m’a rendue plus efficace. Il faut redéfinir nos cadres, inventer nos propres règles.

Publié par Romy CARRERE