L'Hôtellerie
Restauration : Vous avez décroché 3 étoiles
chez Ledoyen en 2002 et vous les avez conservées jusqu'à votre départ. Vous
venez à nouveau d'obtenir 3 étoiles cette année. Avez-vous vécu
différemment ces deux moments de consécration ?
Christian Le Squer : Oui, c'était différent. En
2002, la première fois, j'étais tout fou ! C'était une émotion intense. J'ai
gardé ces 3 étoiles Michelin pendant
douze ans avant de rejoindre Le Cinq. Pour moi, j'étais toujours un chef
3 étoiles. Cette année, je l'ai vécu comme un accouchement après une année
pendant laquelle tout le monde a beaucoup travaillé et y croyait. Il a fallu
former le palais des cuisiniers à ma cuisine, leur expliquer le ressenti des
plats, l'émotion qu'ils doivent véhiculer. Nous y sommes arrivés. J'ai réussi à
inscrire ma cuisine dans un palace. C'est une joie et un soulagement pour tous.
Vous déclarez sur Twitter : "Ma cuisine est comme un tailleur Chanel que l'on porte sur
un jean". Que voulez-vous dire ?
La mode, c'est comme en cuisine. On peut porter un sac ou une veste d'exception
avec des pièces simples, cela donne beaucoup de charme. Encadrer un produit de
luxe par des produits simples, c'est l'art de vivre à la française. C'est ça le
Four Seasons, la simplicité dans un écrin de luxe.
Comment a évolué votre cuisine
en s'installant au sein d'un palace ?
J'ai eu la chance de travailler au Ritz il y a une vingtaine d'années.
Les clients venaient y manger une cuisine de palace. Aujourd'hui, ils veulent
des plats signature de chef. Ils apprécient de manger des choses simples comme
le boudin avec du riz ou ma Gratinée à l'oignon contemporaine. Ces plats sont
aussi mon héritage de chez Ledoyen, une maison très parisienne. Au Cinq, les
plats sont typiquement parisiens, un goût français revisité avec modernité, qui
s'adresse aussi bien aux gastronomes qu'aux Parisiens ou aux touristes. Ils les
dégustent dans une salle au cadre français et ils ont la chance de pouvoir
compter sur l'un des plus grands sommeliers, Éric Beaumard, pour
apprécier des accords mets et vins français. Nous avons travaillé tous les deux
dans une même quête de l'excellence.
Quelle est la place pour la
recherche et le développement ? Comment travaillez-vous ?
Tous les jours, de 9 heures à midi, deux personnes travaillent sur
ce qui se fait aujourd'hui. Par exemple, en ce moment, c'est le jaune d'oeuf.
Dès qu'une recette est à la carte, on lui cherche une remplaçante. On se sert
ainsi des amuse-bouche comme tests : nous les changeons tous les deux ou trois
jours et en fonction des retours des clients, on voit ceux que l'on pourrait développer
en plat. Cela nous sert de fil conducteur dans la recherche. Depuis le Café de
la paix, les clients me réclament certains plats comme la langoustine ou le
turbot. Ils ont longtemps évolué dans le dressage mais pas dans la saveur.
Depuis que je suis au Cinq, j'ai repris la langoustine en changeant cette fois
la saveur car je trouvais qu'elle avait pris du retard. Je suis allé vers davantage
de pureté. J'ai mis une mayonnaise chaude, mais je n'ai pas changé le
packaging. J'ai cherché aussi une nouvelle cuisson pour les ris de veau, car on
trouvait la même un peu partout. Aujourd'hui, ils sont lactés dans du lait
ribot.
"On n'a pas le choix, il faut montrer sa bouille" : la médiatisation
est-elle un poids pour vous ?
Chez Ledoyen, le tour de table avait décidé que nous ne devions pas
communiquer. Nous étions une sorte de salle à manger discrète des hommes d'affaires
et politiques et les gens venaient automatiquement. Il y a cinq ans, cela a
changé. Il y a eu un engouement pour les chefs médiatisés, qui racontent des
histoires. Nous avons commencé à penser aux médias. Au Cinq, le groupe Four
Seasons communique beaucoup. Il a fallu d'abord définir qui je suis, ma
cuisine, mon univers. J'ai pris un chargé en image issu du monde politique. Je
n'avais pas de repères dans les médias et lui aucun dans l'hôtellerie. Nous
avons travaillé ensemble pour être prêts si l'on obtenait les 3 étoiles. J'avais
déjà 3 étoiles Michelin et 5 toques
Gault&Millau avant d'arriver au
Cinq, il fallait le faire savoir. Chez Ledoyen, j'ai longtemps été protégé avec
beaucoup d'élégance. Maintenant, je communique et ça m'intéresse. Nous allons installer
un espace dans la cuisine où tout le monde pourra communiquer sur les réseaux
sociaux et montrer notre travail.
Qu'est-ce qui nourrit aujourd'hui
encore votre passion ?
C'est d'avoir des clients heureux, de transmettre à mes équipes, de partager
sur les réseaux sociaux et de séduire avec ma cuisine. Il faut toujours être
dans le coup et comme je suis toujours insatisfait, cela demande beaucoup d'efforts.
Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine
vendredi 26 février 2016