"J'ai toujours voulu faire de la cuisine, mais ça a commencé par un bras de fer avec mes parents. Ma mère, fille de restaurateurs, ne voulait pas en entendre parler. Mon père, qui était ingénieur, m'a cependant aidé à faire un stage dans une boulangerie, puis à La Pérouse par le biais de la Société des cuisiniers de Paris. Je suis ensuite entré à l'école Ferrandi où j'ai vraiment repris goût à l'enseignement. J'y ai obtenu mon CAP-BEP. Plus tard, j'ai passé un bac économie et social en cours du soir et il y a eu aussi ma formation à l'école supérieure de cuisine française qui a été très importante.
Collectivité, bistrot à Londres, maison Lameloise, brasserie, traiteur, je n'ai pas fait d'autres métiers que celui de cuisinier, mais j'ai fait tout ce qu'on peut voir en termes de diversité de restaurants. Vers la fin des années 1990, ma rencontre avec Rémy Lucas, de Cate Marketing, a marqué le début d'une nouvelle réflexion sur la cuisine. Depuis ma société Atelier de cuisine, je collaborais avec des magazines, des maisons d'édition et des agences pour qui j'écrivais des recettes, faisais du stylisme et accompagnais des lancements de produits. La transmission m'intéressait de plus en plus et j'ai travaillé comme vacataire à la chambre de commerce dans le cadre de la formation traiteur-organisateur de réceptions. Je mettais un accent sur la créativité et on montait des événements un peu fous avec les étudiants. Avec le designer Marc Bretillot, j'ai appris ce qu'était le design. Ça a vraiment modifié ma perception du métier de cuisinier-restaurateur. J'ai contribué alors au rapprochement de Ferrandi et de l'école supérieure d'arts graphiques Penninghen. On a organisé une première réception autour du design. Il était important pour moi que toutes les activités finissent par converger.
La transmission
L'autre rencontre qui a changé ma façon d'envisager le métier a été celle de Pierre Gagnaire. J'ai participé à deux de ses livres et, pour cela, on effectuait des entretiens chaque semaine. J'ai alors découvert l'angle de l'élégance et l'importance de remettre le client au coeur du système. Chez lui, les objets, le confort de la salle, rien n'est laissé au hasard. La cuisine est un moyen de communiquer une émotion, c'est ce qu'il m'a transmis. La transmission, chez moi, est fondamentale. C'est dans cet esprit que j'ai abordé le concours du MOF. J'avais le fantasme du col bleu-blanc-rouge. Je ne connaissais pas le chef Jean-Jacques Massé, je n'étais pas de sa famille culinaire, et pourtant, il m'a beaucoup aidé et de façon complètement désintéressée. Le MOF, c'est ça, c'est une valeur que l'on donne à notre métier, de l'excellence et de la transmission. En 2011, quand je l'ai décroché, ça a été un nouveau commencement.
C'est à ce moment que j'ai rencontré Juan Sanchez, qui m'a fait découvrir une nouvelle notion du métier de restaurateur. Il fait un restaurant pour que ça tourne, c'est un commerce. Les gens ne suivent pas juste sur un nom, il n'y a pas de star system. J'ai adoré le côté décontracté mais exigeant sur la qualité. Aujourd'hui, on assure 200 couverts par jour à Semilla [Paris, VIe]. Si on remplit, c'est par ce qu'on travaille. Il y a deux mois, on a ouvert Freddy's [Paris, VIe] juste à côté. Au début, on l'a pensé comme un comptoir où les gens resteraient debout. Et puis, les clients ont demandé à s'asseoir pour y passer du temps. On a ajouté des tabourets et la cuisine est devenue plus sophistiquée. Un lieu devient la propriété des clients, nous sommes à l'écoute de ce qu'ils veulent et apportons les solutions, de la même façon que nous respectons les gens avec qui nous travaillons. Le futur de la restauration, selon moi, est social. C'est le prochain grand défi : que les gens qui travaillent chez nous aient du plaisir à le faire et y trouvent du sens. Comment, dans un métier où l'on doit donner du plaisir aux clients, peut-il y avoir une telle oppression et des rapports de conflit ? Certes, c'est dur, on regarde le tiroir-caisse, mais on n'est pas obligé de harceler les gens pour autant."
Publié par Caroline MIGNOT