En parallèle de la Fête du livre, la ville de Saint-Etienne (42) a organisé, au sein du théâtre la Comédie, un colloque autour du goût et du design. Deux thématiques chères à cette ville fière de sa gastronomie et reconnue pour sa créativité à travers sa Cité du design. Pour parrainer et préparer cette première édition, ouverte au public, la ville avait fait appel à Régis Marcon, le chef du restaurant Régis et Jacques Marcon, trois étoiles, situé en Haute-Loire. Pour ce cuisinier, qui rêvait enfant de faire les Beaux-Arts, le lien entre l'art culinaire et le design est forcément ténu. "C'est en fait le côté créatif de la cuisine qui m'a amené à faire ce métier. Depuis, j'ai toujours travaillé dans le souci de trouver le juste équilibre entre le goût et l'esthétisme. Cela passe par des jeux de couleur, de forme, de présentation… Car on mange aussi avec les yeux", explique Régis Marcon.
Pour débattre de ce thème fondamental dans la cuisine moderne, le chef s'était entouré de grands cuisiniers de la région, réputés pour leur créativité. À l'instar de Michel Troisgros, chef de la Maison Troisgros, trois étoiles, à Roanne (42). Pour ce collectionneur d'art contemporain, la cuisine et l'art sont intimement liés. "Quand je crée un plat, je ne me fixe pas d'objectifs, je me laisse porter. Même si sans en être vraiment conscient, je m'inspire souvent d'oeuvres d'artistes que j'apprécie." Christophe Roure, chef du Neuvième Art, deux étoiles à Saint-Just-Saint-Rambert (42), avoue lui aussi accorder une grande place au design dans sa cuisine. Il faut dire que le chef a été à bonne école, après avoir fait ses armes chez Pierre Gagnaire et Régis Marcon. "On est cuisinier quand on est transporté par les émotions. Parfois, c'est la forme d'un récipient qui m'inspire une recette. Tout est possible", explique-t-il.
Designers et industriels culinaires
Car aujourd'hui, les arts de la table et les ustensiles jouent un rôle tout aussi important que le contenu. Ainsi, designers, architectes ou encore fabricant d'articles culinaires comme Alberto Alessi, patron de la maison italienne Alessi, ont également livré leurs expériences sur l'alliance du design et de la cuisine. La designer Matali Crasset reconnaît rechercher le côté fonctionnel dans chacune de ses créations. "Le design doit apporter un potentiel à l'ustensile. C'est pour cela que la gestuelle des chefs est pour moi une source d'inspiration", explique-t-elle. L'aménagement de lieux et d'espaces a également été évoqué à travers le travail de l'architecte Patrick Bouchain, qui a travaillé sur l'auberge de Michel Troisgros, La Colline du Colombier, située à Iguerande (71).
Ce colloque, riche en débats, a également permis de s'interroger sur les concepts de demain. Pour la designer Sylvie Amar, la tendance sera à l'accessoirisation de l'assiette. Elle travaille d'ailleurs sur la conception de cuillères à condiment et à sucre. Du côté des créateurs culinaires, l'avenir s'annonce tout aussi inventif. Auteur de livres culinaires et passionnée de cuisine nomade, Sonia Ezgulian démontre comment on peut détourner ustensiles, contenants ou produits industriels pour improviser des recettes surprenantes. "La recette du bonheur en cuisine, c'est d'être libre. Il faut oser", affirme celle qui se définit comme une cuisinière du quotidien. Car comme le résume Régis Marcon : "La créativité peut s'exprimer dans toutes les formes de restauration. C'est ce qui fait la richesse de la cuisine française. Et j'espère que l'aspect créatif de notre métier suscitera des vocations chez la jeune génération."
Publié par Stéphanie Pioud
