Martine Bourelly, doctorante en sociologie à l'université Paris 8, a passé ses huit dernières années dans l'agence Pôle Emploi spécialisée dans le secteur hôtellerie-restauration, à Paris. Se déclarant volontiers féministe, elle reste interpellée par ce "paradoxe de la cuisinière : un savoir-faire domestique féminin et un métier masculin".
En 2007, elle décide de suivre une formation à la Sorbonne dans le cadre des programmes sur l'égalité homme-femme. Le thème de son diplôme interuniversitaire est : 'Chef-fe' de cuisine : paradoxe d'un métier et trouble du genre - De la cuisine familiale à la cuisine étoilée. En 2008, elle obtient les félicitations du jury, ce qui l'encourage à prolonger son travail de recherche par un doctorat.
Martine Bourelly constate, que, dès l'Ancien Régime "le métier de cuisinier s'est constitué en dehors des femmes et de leur savoir-faire" : aux femmes, l'enseignement ménager pour la sphère domestique, aux hommes, la cuisine professionnelle, les brigades des grands restaurants et l'art culinaire. La Grande Guerre ouvre une brèche, permettant à des cuisinières, de maison bourgeoise de s'établir à leur compte. Ces 'mères lyonnaises' sont reconnues dès la première édition du guide Michelin, qui attribue trois étoiles à Eugènie Brazier (1895-1977) et Marie Bourgeois (décédée en 1937). Toutefois, elles ne firent pas école : la triple étoilée suivante fut, en 2007, Anne-Sophie Pic. Le milieu reste massivement masculin : "En 2006, on relève encore 94 % d'hommes parmi les chefs de cuisine pour seulement 6 % de femmes." Et ce, malgré la loi Haby sur la mixité scolaire de 1975, qui donne accès à l'enseignement professionnel de cuisine pour les femmes. Trente ans après, l'hégémonie masculine perdure.
"Apprendre à se faire respecter"
Pour en comprendre les raisons, Martine Bourelly est allé enquêter sur terrain, rencontrer des associations professionnelles, des écoles hôtelières, mener des entretiens avec dix chefs (femmes et hommes, étoilés ou non). Les freins et obstacles sont 'externes' : orientation des femmes sur les métiers du service, pénibilité du travail, machisme en cuisine et réseaux professionnels 'au masculin', mais aussi 'internes' et personnels. "Être femme dans un métier d'hommes, c'est d'abord apprendre à se faire respecter, à mettre des barrières et à s'isoler parfois", retient Martine Bourelly, qui recueille aussi les témoignages sur les difficultés à concilier vie professionnelle et vie privée, encore plus lorsque les femmes chefs deviennent mères.
Depuis ce constat en 2008, elle poursuit sa thèse : "L'avancée en mixité dans la cuisine gastronomique et ses effets sur les rapports sociaux de sexe." La formation initiale, qui se penche aujourd'hui sur la parité filles-garçons en section cuisine, prouve toute l'actualité de son thème.
Publié par Anne Sophie Thérond
vendredi 28 novembre 2014