Aiglefin, tacaud, grondin… verra-t-on bientôt ces poissons sur les cartes des restaurants, au même titre que le bar, le cabillaud ou le turbot ? Si l'on en croit le retour en grâce du topinambour ou du salsifis, ce n'est pas impossible. Pour les légumes et les fruits, manger local et de saison est devenu une ligne de conduite que suivent nombre de professionnels de la restauration. Le programme Mr Goodfish entend surfer sur la même vague. Avec un enjeu de taille : la préservation des stocks de pêche. Seuls 20 % de ces stocks sont actuellement exploités de façon modérée, le reste l'étant trop, voire au maximum. "Mais il est faux de dire qu'en 2050, il n'y aura plus de poissons. Il n'y a que des possibilités mal exploitées", prévient d'emblée Philippe Vallette. Voilà une dizaine d'années que le directeur de Nausicaá, le centre océanographique de Boulogne-sur-Mer (62), planche sur le sujet. Soutenu par la Oak Fondation, qui oeuvre notamment en faveur de l'environnement, il a lancé ce programme intelligent et motivant.
S'appuyant sur le Réseau océan mondial, auquel adhère Nausicaá, et en collaboration avec l'Acquario di Genova (Italie) et l'Aquarium de Finisterrae (Espagne), Mr Goodfish entend sensibiliser le public et les professionnels de l'industrie poissonnière à la consommation durable de produits de la mer. Les poissonniers et les restaurateurs sont en particulier ciblés. Mais avec un message positif, et non pas restrictif. "En partenariat avec Ifremer [Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, NDLR], nous établissons tous les trois mois des listes en tenant compte de l'état des ressources des quatre bassins de pêche français - Manche, mer du Nord, Atlantique, Méditerranée -, de la taille, de la saison et du statut des espèces. Ces listes ont valeur de recommandation. Il n'y a pas de liste rouge. Seules les espèces y figurant peuvent être marquées du logo Mr Goodfish, mais ce n'est qu'un conseil d'achat."
Travailler sur le local
Il ne s'agit en effet pas d'un label, lié à de strictes certifications, comme celui établi par le Marine Stewardship Council (MSC) - un programme mondial de certification et d'écolabellisation. "Nous n'avons pas les mêmes moyens, reconnaît Philippe Vallette. Et puis nous travaillons sur le local. Le MSC préconise ainsi actuellement le pétoncle de Patagonie alors que nous sommes en pleine campagne de la Saint-Jacques sur nos côtes."
Le local est d'ailleurs le fer de lance de l'opération. Les neuf cantines scolaires et les dix poissonneries actuellement signataires sont dans le Nord-Pas-de-Calais. Comme la plupart des 85 restaurateurs qui soutiennent Mr Goodfish, notamment les chefs de l'association Côte d'Opale gourmande, qui se sont réunis pour éditer un livre de recettes mettant en valeur les poissons de leur côte. À Paris, on ne compte que cinq adresses, dont celle de Gaël Orieux (voir encadré) et d'Éric Fréchon, au Mini Palais (VIIIe), qui jouent la carte Mr Goodfish. "Mais nous recevons chaque jour de nouvelles demandes d'adhésion", confirme Florence Huron, coordinatrice du projet, en contact par exemple avec l'association Euro-Toques. Les chaînes de restauration collective se disent également intéressées. Enfin, une convention a été signée avec le distributeur Metro Cash and Carry pour qu'il mette en avant dans ses magasins les produits Mr Goodfish. Pour les consommateurs, une application iPhone permettant de localiser les établissements Mr Goodfish est en cours. Nausicaá compte également s'appuyer sur les centres océanographiques breton, aquitain et méditerranéen pour relayer le message sur leur territoire.
Reste à faire de Mr Goodfish une vraie image de marque, soutenue par un marketing gagnant-gagnant. "Plus les gens feront de l'argent avec Mr Goodfish et mieux les stocks de poissons se porteront", affirme sans ambages Philippe Vallette. Hervé Diers, dirigeant de l'entreprise de salaison de harengs JC David a ainsi apposé le logo Mr Goodfish à côté de son tout récent Label rouge sur ses packagings destinés aux restaurants de New York et San Francisco. "Les Américains y sont très sensibles", confirme-t-il. Vendeur Mr Goodfish ? En décernant en janvier dernier à ce programme le prix innovation 2012, le salon Ecorismo (environnement et développement durable pour le tourisme) montre la voie.
Publié par Marie-Laure Fréchet