La sortie du guide Michelin France est toujours un événement. Etre ou non dans la sélection (4000 établissements recensés dans le guide rouge), c'est au-delà du gage de qualité un vecteur qui incite les clients à choisir un restaurant plutôt qu'un autre. Les étoilés savent que cette reconnaissance est un gain de chiffre d'affaires assuré (jusqu'à 30%), ce qui en des temps incertains est plus qu'essentiel. Les restaurants estampillés Bib Gourmand apprécient ce label de plus en plus couru par les consommateurs. Bref, les professionnels sont attachés à Michelin, mais les changements annoncés souvent les inquiètent. Le guide papier va-t-il disparaître au profit d'une version virtuelle (internet et smartphones) ? Qui sera inclus dans le site internet que Michelin va lancer ? Seuls les établissements de la sélection ? Si les établissements non sélectionnés par Michelin sont répertoriés dans le site, n'y aura-t-il pas de confusion avec ceux dûment validés par Michelin ? N'importe quel établissement peut-il s'inscrire et ainsi apparaître sous la bannière Michelin ?
Jean-Dominique Senard est là pour écouter mais aussi pour faire passer des messages et couper court à certaines rumeurs. « J'ai entendu beaucoup de bêtises ces derniers temps et je suis venu vous dire que le guide est et reste un élément fondamental de la maison. Michelin est profondément attaché aux activités de gastronomie. Bien sûr, il aide à l'image de la marque Michelin, mais il doit conserver sa vocation d'origine, c'est-à-dire être au service de la mobilité des automobilistes, explique-t-il avant d'ajouter. La version papier est formidable, mais nous devons être de notre temps et faire notre entrée sur le web. Oui la version papier connaît un déclin de ses ventes. C'est inéluctable face au web, mais je pense que cette chute atteindra un palier et nous voulons conserver ce support. Mais pour pérenniser le guide et pour la motivation des équipes, nous devons lui assurer un équilibre économique raisonnable ». D'où la nécessité de développer des services payants. Les applications iPhone du guide ont commencé à compenser la baisse des ventes du guide papier, de même que sa présence sur des téléphones Nokia. Surtout, Michelin a maintenant commercialisé des offres de service sur son nouveau site qui, à terme, permettront aussi d'enregistrer les demandes de réservations des internautes. Un nouvel outil arrive sur le marché dans quelques semaines : le site internet Michelin Restaurants.
Les restaurants sélectionnés par Michelin clairement identifiés
Le nouveau site Michelin présentera, d'une part, l'intégralité de la sélection du guide rouge France (d'autres pays européens seront concernés par la suite). Ces établissements seront clairement identifiés comme faisant partie du guide et donc recommandés par Michelin. D'autre part, tout établissement de restauration à table pourra s'inscrire sur le site gratuitement. C'est-à-dire son nom, son adresse.
« Ce site est un service nouveau de recherche de restaurants. Il touchera le plus grand nombre et permettra aux internautes de trouver où se restaurer en fonction de leurs attentes en leur proposant une vraie diversité. Dans ce moteur de recherche, Michelin ne s'engage pas sur la qualité de ceux qui sont hors sélection », indique Alain Cuq, directeur général de Michelin Travel Partner, entité qui résulte de la fusion de ViaMichelin (activités numériques) et du département des cartes et guides.
Les offres commerciales de Michelin
Les invités de Michelin avaient de nombreuses questions. Elles portaient aussi, bien sûr, sur les offres commerciales que Michelin vient de lancer via des courriers, des appels d'un call center ou l'intervention d'équipes commerciales. Il s'agit d'une première offre à 69 euros par mois destinée à offrir aux restaurateurs (dans la sélection et hors sélection, le même prix pour tous) la possibilité d'enrichir leur présentation sur le site Michelin par des photos, le menu… donc de mettre en avant son établissement. Il n'est pas question de payer pour être sur le site, mais de rendre son entreprise plus visible et plus attractive pour les internautes en quête d'un lieu où se sustenter. Pour la première fois, Michelin demande aux restaurateurs de mettre la main à la poche. C'est là que le bât blesse. C'est là que les critiques vont bon train. Les restaurateurs et les hôteliers ne se sentiront-ils pas obligés d'accepter les propositions commerciales, par peur des représailles ou en pensant que cela leur donnera une chance supplémentaire d'être bien vus par les inspecteurs ? « Nous allons communiquer pour éviter tout amalgame. D'un côté, il y a le guide avec sa sélection et les inspecteurs. De l'autre, il y a nos activités numériques et les offres que nous proposons aux professionnels », assure Claire Dorland Clauzel, directeur de la communication et des marques, membre du conseil exécutif du groupe. En clair, on ne paye pas pour entrer dans le Michelin. « Le guide restera la référence, c'est aussi notre intérêt », appuie Michael L. Ellis, franco-américain de 53 ans, directeur international des guides Michelin, qui a pris ses fonctions le 2 janvier 2012.
Les commentaires des internautes
Autre sujet très discuté, les commentaires des internautes. Dans le nouveau site internet, pour chaque établissement, chacun sera libre de poster un commentaire. « Vous n'êtes pas Zagat ! Pourquoi faire comme les autres ? Vous ne pouvez pas être comme tout le monde. Si vous laissez les commentaires ouverts, ce sera un tollé dans la profession », assure Alain Ducasse. Les professionnels savent à quel point certains commentaires peuvent être malveillants et nuisibles. Ils peuvent même émaner de personnes qui n'ont jamais mis les pieds dans l'hôtel ou le restaurant. « Pourquoi ne pas mettre en place un système qui garantisse que celui qui laisse un commentaire ait effectivement testé l'établissement ? C'est ce que nous faisons au sein des Logis de France en envoyant un questionnaire au client après son passage. A lui ensuite de décider s'il y répond ou non. », demande Thierry Amirault. Dominique Loiseau intervient également : « Il faudra veiller à ce que les commentaires soient filtrés et aussi bien faire en sorte que les clients ne croient pas que les commentaires sont validés par Michelin ou que ce sont les siens. Il faut éviter tout amalgame ». « Donner la parole aux internautes est une obligation et c'est aujourd'hui d'ailleurs le cas, répond Alain Cuq. Ils veulent lire ce que pensent les autres consommateurs. Evidemment, il y aura des règles de modération ».
Ces changements initiés par Michelin vont cependant se faire par étapes. Les offres comme les fonctionnalités du site vont évoluer progressivement au fil des semaines pour arriver à la réservation. Etonnement pour les uns, inquiétude pour les autres qui se demandent si Michelin n'est pas en train de perdre son âme et sa crédibilité. Or si Michelin perd son aura, ce sont les établissements qui en seront aussi les victimes. « On entend beaucoup de choses et ce que vous nous avez expliqué nous rassure. Mais passer de rien à tout, c'est risqué », dit Alain Ducasse. « S'il y a une faille, c'est fini pour vous et pour nous », lance Joël Robuchon. « Nous allons évoluer en restant à votre écoute et sans perdre notre âme !, conclut Jean-Dominique Senart. La notion d'indépendance et la qualité de la sélection resteront irréprochables. Je m'en porte garant ».
Publié par Nadine LEMOINE