Les repas de chasse ont toujours la cote

Le gibier est à l'honneur chaque automne. Mais comment lui donner une note actuelle ? Les chefs étoilés Anne-Sophie Pic, Michel Kayser, Edouard Loubet et Jean-Pierre Vigato se sont penchés sur la question et nous donnent leurs avis croisés.

Publié le 20 novembre 2013 à 13:05

Au Domaine de Capelongue, à Bonnieux (84), l'automne est giboyeux. Grâce à ses relations amicales avec les chasseurs de la région, les lièvres, faisans et sangliers ne tardent pas à arriver dans la cuisine d'Édouard Loubet. Dans cette région paysanne, on pourrait s'attendre à une cuisine traditionnelle, aux cuissons longuement mijotées et aux viandes marinées liées dans un jus au sang. Pourtant, le chef 2 étoiles Michelin propose des recettes qui lui ressemblent, dans lesquelles il joue avec les herbes aromatiques. Le sanglier est cuit au gros sel dans du foin, arrosé d'un jus à la coriandre, tandis que le faisan dégagera des arômes de céleri sauvage.

Si les repas de chasse ont toujours la cote en France, la question est de savoir si les chefs ont pris des libertés avec les anciennes recettes et comment ils ont secoué les plats traditionnels en travaillant autrement le gibier, de son arrivée en cuisine jusqu'au dressage.

 

Les grands classiques ont leurs inconditionnels

"Les amateurs de gibier sont des inconditionnels", affirme Jean-Pierre Vigato, chef  2 étoiles Michelin de l'Apicius (Paris, VIIIe). "On aime ou on déteste, et il n'est pas simple d'amener les gens à apprécier ces saveurs marquées. On peut tout de même l'insérer par petites touches, par exemple sur un menu découverte, et ainsi démentir cette réputation un peu lourde qui précède le gibier avant même qu'on l'ait goûté."

Les étrangers, eux, sont très friands de ces traditions bien ancrées : "Les plus adeptes de ces plats sont les Japonais", confie Anne-Sophie Pic, chef 3 étoiles de la Maison Pic (Valence, 26). "Fous amoureux des classiques de la cuisine française, ils prennent très souvent le Lièvre à la royale, dans lequel il y a cette farce à gratin très présente, mêlée à la chair de lièvre coupée au couteau, qui garantit une consistance parfaite, une tranche qui se tienne. On a le foie gras, une belle rosace sur le dessus… Bref, une recette classique que je mets à la carte chaque année, mais qui ne cesse d'évoluer."

Jean-Pierre Vigato fait apparaître certaines traditions culinaires comme des erreurs : "Avant tout, notre ancienne façon de le cuisiner est une suite de maladresses : mettre du vin partout, mariner trop longtemps ou lier la sauce outrageusement. Voilà qui manque de sensibilité ! Pour moi, l'erreur la plus fondamentale c'est de trop laisser 'mûrir' la viande. Au contraire, les gibiers doivent être ultra frais." Une réflexion partagée par Michel Kayser, chef 2 étoiles Michelin du restaurant Alexandre à Garons (30), qui nuance toutefois la notion d'ultra frais : "Il faut oublier le goût très fort des bécasses mortifiées. Attention, j'aime les saveurs, j'aime le goût, donc un lièvre doit avoir le goût de lièvre ! Mais d'une part on ne le laisse plus pendant une semaine en chambre froide, et d'autre part on travaille différemment la cuisson."

La cuisson semble donc être au coeur de la question. Pour Édouard Loubet, "c'est là que tout se joue : un chevreuil, c'est beau à peine rosé, et non mijoté pendant des heures." Même chose chez Michel Kayser : "Pour découvrir toute la texture fondante d'un filet de chevreuil, on le saisit pour attraper les saveurs mais ensuite on le cuit à basse température."

Texture et justesse des assaisonnements

De son côté, Anne-Sophie Pic poursuit son travail sur les textures de la viande. "Pour le Chevreuil fumé à la vanille, les selles sont mises au sel pendant quarante minutes, avant d'être marinées au citron et au gingembre - et non au vin rouge. La maturation n'est pas poussée, je cherche juste une texture raffermie, qui facilite le tranchage. À Valence, nous servons également une Noisette de chevreuil à la châtaigne, rhum et café. Pour ce plat, j'ai actualisé le dressage : dans l'assiette, on aura la noisette émincée et la garniture sur chaque bouchée. Je reste constante dans ma manière de travailler les produits, en cherchant à alléger les recettes anciennes : tout d'abord en préférant un jus à une sauce, mais également en jouant sur les garnitures et les parfums, ou sur un condiment qui apporte de la fraîcheur. Aujourd'hui, le lièvre est servi avec une mousseline de carottes des sables au whisky et à la noisette."

Édouard Loubet joue quant à lui sur les accompagnements pour assurer l'équilibre du plat : "sur un filet de chevreuil rôti, une pomme Calville blanc d'hiver donne l'acidité qui compense une belle sauce à l'immortelle."

La sauce est l'une des passions de Michel Kayser, qui voit dans sa cuisine du gibier une belle occasion de l'exprimer : "Je suis un saucier, c'est capital pour moi. Pour le chevreuil rôti, je vais récupérer la marinade, la réduire, mais pas la lier au sang. J'aime faire une réduction à base d'épine-vinette, façon béarnaise : le chevreuil a besoin de cet équilibre entre le moelleux et le relevé. On peut aussi ajouter un peu de chocolat, ce qui ôte l'amertume et donne un côté très brillant à la sauce."

Si les chefs d'aujourd'hui proposent quelques actualisations, ils sont parfois tentés de ne pas trop toucher à certains classiques bien faits : "En ce moment, nous avons un Râble de lièvre frais à la broche et raisins rôtis, confie Jean Pierre Vigato. Je n'actualise pas vraiment. Avant tout, je recherche le goût et une justesse des assaisonnements. Nous voulons faire plaisir aux gens. Alors, bien sûr, sur une classique chartreuse de faisan, on ne peut pas trop jouer : quand c'est bien fait, avec honnêteté, il n'y a pas grand chose à modifier." Conscient du plaisir procuré par un repas de chasse convivial entre amis, Édouard Loubet conclut : "J'aurai beau faire des assiettes les plus soignées possibles, je ne pourrai jamais rivaliser avec une brochette de grives juste grillées dans la cheminée."


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Publié par Anne GARABEDIAN



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